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Gustave FLAUBERT, Madame Bovary

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La journée fut longue le lendemain du bal. Comme le bal lui semblait loin ! Qui donc écartait, à tant de distance, le bal d'avant-hier et le soir d'aujourd'hui ? Son voyage à la Vaubyessard avait fait un trou dans sa vie, à la manière de ces grandes crevasses qu'un orage, en une seule nuit, creuse quelquefois dans les montagnes. Au fond de son âme, elle attendait un événement. Comme les marins en détresse, elle promenait sur la solitude de sa vie des yeux désespérés, cherchant au loin quelque voile blanche dans les brumes de l'horizon. Elle ne savait pas quel serait ce hasard, ce vent qui le pousserait jusqu'à elle, vers quel rivage il la mènerait, s'il était chaloupe ou vaisseau à trois ponts. Mais, chaque matin, à son réveil, elle l'espérait pour la journée, et elle écoutait tous les bruits, se levait en sursaut, s'étonnait qu'il ne vint pas ; puis au coucher du soleil, toujours plus triste, désirait être au lendemain… Est-ce que cette misère durerait toujours ? Est-ce qu'elle n'en sortirait pas ? Elle valait bien, cependant, toutes celles qui vivaient heureuses ! Elle avait vu au bal des invitées qui avaient la taille plus lourde et les façons plus communes. Elle s'appuyait la tête aux murs pour pleurer ; elle enviait les existences tumultueuses, les nuits masquées, les insolents plaisirs. Gustave FLAUBERT, Madame Bovary

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