Giraudoux, Amphitryon 38, acte II, scène 2.
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«
Première partie (4 points)
1.
À travers un exemple que vous commenterez brièvement, vous montrerez l'art de traiter avec légèreté un sujet grave.
En disant à Jupiter sur un ton péremptoire : Ne me parle pas de ne pas mourir tant qu 'il n 'y aura pas un légume immortel, Alcmène aborde
la grave question de la mort, qui sépare les hommes des dieux immortels.
Mais l'association aussi saugrenue qu'inattendue de deux termes
inconciliables, légume et immortel, introduit une note d'humour car elle relève de la pure fantaisie.
D'abord, la vie des végétaux, rythmée
par les cycles saisonniers, est courte ; comme, en outre, ils sont privés de sensibilité, une vie végétative d'une durée illimitée serait un enfer
et n'aurait évidemment rien d'enviable.
2.
Quelle est la dynamique de cette scène ?
Dans ce dialogue dramatique Jupiter devrait mener le jeu et avoir le beau rôle.
Or c'est le contraire qui se produit À deux reprises Alcmène
suscite l'étonnement du roi des dieux : non seulement elle ne se laisse pas éblouir par la perspective de l'immortalité, mais surtout la
mortelle force le respect de l'immortel, comme il l'avoue dans sa dernière réplique : tu es le premier être vraiment humain que je rencontre.
Deuxième partie ( 16 points)
Vous ferez un commentaire composé de cette scène.
Avec Gide, Cocteau et Anouilh, Jean Giraudoux réactualise les mythes grecs sur la
scène française du xxe siècle.
Celui d'Amphitryon lui donne l'occasion, dans la pièce du même nom, de représenter l'aventure d'Alcmène, la
mortelle aimée de Jupiter qui, pour la séduire, prend les traits d'Amphitryon, et lui permet de donner libre cours à l'une de ses qualités
essentielles, la légèreté d'invention.
Jupiter et Alcmène viennent de passer la nuit ensemble : la scène de leur réveil (II, 2) offre un savant
dosage de comique et de gravité.
Giraudoux fait d'abord appel au comique de situation puisque toute la scène repose sur un quiproquo :
Alcmène croit parler à son époux Amphitryon, mais c'est dans les bras de Jupiter qu'elle vient de se réveiller.
Comme le spectateur sait ce
qu'Alcmène ignore encore, le double sens dont se chargent pour lui les paroles de l'héroïne provoque le sourire, par exemple : Tu préfères
d'habitude les plaisirs mieux partagés.
Giraudoux va d'ailleurs beaucoup plus loin, jusqu'à renverser complètement les rôles : quoique faible
femme et simple mortelle, Alcmène l'emporte sur Jupiter, tout roi des dieux qu'il est, par son intelligence, son sens de la mesure et son
humanité souriante.
Le dépit de l'Olympien se perçoit dès le début du dialogue et s'accentue au fil des répliques, comme l'indiquent les
changements successifs de ton, de l'assurance sereine (Pour être honorée et révérée de tous) à la sombre menace de la mort (Mais que tu
seras froide et vaine, au fond de la mort), en passant par la surprise indignée (Comment, à quoi ? mais à ne pas mourir!) et par une poésie
aux résonances cosmiques (tu scintilleras dans la nuit jusqu'à la fin du monde) ou virgiliennes (Ombre sans voix, fondue dans les brumes
de l'enfer...)
Mais c'est de l'humour que Giraudoux tire ses effets comiques les plus sûrs.
Quand Jupiter vante la démarche légère des dieux, Alcmène, ne
se souciant nullement de la contradiction, la rapproche de celle d'une épouse, alourdie d'un bon mari.
Quand il évoque la nuit éternelle, elle
reste insensible à sa poésie, mais en craint les effets désastreux sur son teint de blonde.
Ce sont là des traits caractéristiques de l'humour
de Giraudoux, qui s'appuie sur trois techniques : rapporter de petits effets à de grandes causes ou vice versa, regarder volontairement les
choses par le petit bout de la lorgnette, refuser toute emphase.
Alcmène supprime ainsi toute distance entre notre planète et les autres
mondes en les qualifiant de simples voisins, et leur enlève simultanément le prestige lié au mystère qui plane sur leur existence.
De même,
pour elle, la vie quotidienne de la femme d'un général se résume en menus tracas : vêtements mal teints et repas mal réussis ! Enfin
Giraudoux pratique avec art le mélange des genres.
Le dialogue amoureux s'élève rapidement à la métaphysique, mais les visions
d'éternité et les échappées lyriques de Jupiter (ombre sans voix...) se heurtent à l'ironie d'Alcmène (Charmante soirée !) ou à son réalisme
(elle se voit toute crevassée).
Le dieu lui-même abandonne facilement le registre mélancolique (Ombre sans voix) pour évoquer non sans
humour (s)on épouse qui flamboie là-haut, dans l'air sec.
Mais le dramaturge se plaît surtout à traiter avec légèreté un sujet grave entre
tous, la mort.
Alcmène envisage l'immortalité d'une seule façon : que tous les êtres vivants, des végétaux aux dieux, en jouissent (Ne me
parle pas de ne pas mourir tant qu'il n'y aura pas un légume immortel).
La perspective fantaisiste de l'immortalité des végétaux et l'alliance
inattendue d'un mot trivial, légume, et d'un mot noble, immortel, ont pour effet d'évacuer toute angoisse de la mort.
• Les joutes oratoires de Jupiter et d'Alcmène font rire par leur humour minant.
Mais en proclamant haut et fort la dignité de sa condition de
mortelle, Alcmène donne une leçon de sagesse.
Quelle n'est pas la surprise de Jupiter quand Alcmène refuse de devenir déesse ! Loin de lui témoigner sa reconnaissance pour une
proposition aussi alléchante, elle repousse successivement trois excellentes raisons que ce dieu naïf croit inattaquables : recevoir les
adorations des mortels, échapper à la loi de la pesanteur, connaître les secrets de l'univers.
Quand MUT vaincre sa résistance il avance
l'argument suprême de l'immortalité, il ne suscite aucun enthousiasme : par leur platitude volontaire les questions d'Alcmène (À quoi bon ?
À quoi cela sert-il ?) équivalent à un refus.
Elle refuse l'immortalité parce qu'elle n'envie nullement les immortels et surtout parce qu'elle ne craint pas la mort.
Elle représente ainsi la
femme idéale car elle borne son ambition à être une simple femme.
Alcmène possède, en effet, la qualité que les Grecs plaçaient au
sommet de leur échelle de valeurs, le sens de la mesure, qui se traduit par le respect des lois de la nature.
Pour elle, la mort s'inscrit dans
le déroulement du cycle du vivant.
C'est pourquoi elle la définit comme l'enjeu de la vie.
Solidaire de l'espèce humaine et, au-delà, de
toutes les espèces d'êtres vivants, l'épouse d'Amphitryon n'accepte pas le privilège de se soustraire à une loi universelle.
Elle définit sa
position très clairement, d'abord dans une belle image qui valorise le séjour des humains, la terre : je me solidarise avec mon astre, puis
dans une formule lapidaire : Devenir immortel, c'est trahir, dans laquelle la valeur péjorative de trahir suffit à porter condamnation.
Cette
grave question de la mort permet également à Alcmène de révéler à Jupiter la dignité de l'homme.
La dynamique du dialogue et
l'allongement des répliques à la fin du passage ont pour but de faire enfin comprendre à son interlocuteur ce qu'est un être vraiment
humain, car tout omniscient qu'il fût en sa qualité de roi des dieux, il l'ignorait jusque-là.
Pour Alcmène, l'homme digne de ce nom accepte
la mort, il n'a pas à la redouter parce qu'elle équivaut à un grand repos, à une délivrance.
La répétition de mourir et de mort, le choix de
termes valorisants, aussi bien les adjectifs constante et étale que les substantifs plénitude et abondance, et le passage du concret (fatigues,
vêtements, repas) à l'abstrait, tout concourt à donner une image positive de la mort.
Loin d'être privation, absence ou manque, la mort
comble une attente ; bien plus, elle est une récompense hors de toute proportion.
La valeur superlative de l'expression accentue le caractère
paradoxal de cette vision de la mort.
L'échange rapide des répliques entre un Jupiter désappointé, penaud, voire ridicule, et la fine mouche qu'est Alcmène offre un bel
échantillon de cette sagesse souriante propre à Giraudoux.
Une mortelle pleinement satisfaite de son sort résout d'une façon toute naturelle,
et qui plus est avec humour, le grave problème de la condition humaine : quelle belle leçon d'humanité et d'humanisme ! Un dramaturge
contemporain met le vieux mythe d'Amphitryon au service d'un débat métaphysique : quelle habileté dans l'art de nous rappeler la valeur
universelle de la mythologie, partie intégrante de notre patrimoine culturel !.
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