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George Sand - Histoire de ma vie (Livre V. Chapitre II.)

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Cette année 1833 ouvrit pour moi la série des chagrins réels et profonds que je croyais avoir épuisée et qui ne faisait que de commencer. J'avais voulu être artiste, je l'étais enfin. Je m'imaginai être arrivée au but poursuivi depuis longtemps, à l'indépendance extérieure et à la possession de ma propre existence : je venais de river à mon pied une chaîne que je n'avais pas prévue. Etre artiste ! oui, je l'avais voulu, non seulement pour sortie de la geôle matérielle où la propriété, grande ou petite, nous enferme dans un cercle d'odieuses petites préoccupations ; pour m'isoler du contrôle de l'opinion en ce qu'elle a d'étroit, de bête, d'égoïste, de lâche, de provincial ; pour vivre en dehors des préjugés du monde, en ce qu'ils ont de faux, de suranné, d'orgueilleux, de cruel, d'impie et de stupide ; mais encore, et avant tout, pour me réconcilier avec moi-même, que je ne pouvais souffrir oisive et inutile, pesant, à l'état de maître, sur les épaules des travailleurs. Si j'avais pu piocher la terre, je m'y serais mise avec eux (…). Par goût, je n'aurais pas choisi la profession littéraire, et encore moins la célébrité. J'aurais voulu vivre du travail de mes mains, assez fructueusement pour pouvoir faire consacrer mon droit au travail par un petit résultat sensible, mon revenu patrimonial étant trop mince pour me permettre de vivre ailleurs que sous le toit conjugal, où régnaient des conditions inacceptables. Comme la seule objection à la liberté qu'on me laissait d'en sortir était le manque d'un peu d'argent à me donner, il me fallait ce peu d'argent. Je l'avais enfin. Il n'y avait plus de reproches ni de mécontentement de ce côté-là. J'aurais souhaité vivre obscure, et comme, depuis la publication d'Indiana jusqu'à celle de Valentine, j'avais réussi à garder assez bien l'incognito pour que les journaux m'accordassent toujours le titre de monsieur, je me flattais que ce petit succès ne changerait rien à mes habitudes sédentaires et à une intimité composée de gens aussi inconnus que moi-même. Depuis que je m'étais installée au quai Saint-Michel avec ma petite, j'avais vécu si retirée et si tranquille que je ne désirais d'autre amélioration à mon sort qu'un peu moins de marches d'escalier à monter et un peu plus de bûches à mettre au feu. …… George Sand Histoire de ma vie (Livre V. Chapitre II.)

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