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François Mauriac, Le Baiser au lépreux.

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François Mauriac, Le Baiser au lépreux. Jean Pélouyère ne dormit guère cette nuit-là. Ses fenêtres étaient ouvertes sur la laiteuse nuit – la nuit plus bruyante que le jour à cause des coassantes mares. Mais les coqs surtout ne cessent de chanter jusqu'à l'aube, fatigués d'avoir salué l'obscure et trompeuse clarté des étoiles. Ceux du bourg avertissent ceux des métairies qui, de proche en proche, répondent : "C'est un cri répété par mille sentinelles..." Jean veillait, se berçant de ce vers indéfiniment marmonné. Les fenêtres découpaient à l'emporte-pièce un azur dévoré d'astres. Jean se levait pieds nus, regardait les mondes et les appelait par leurs noms, agitant sans se lasser le problème posé la veille : avait-il adhéré à une métaphysique ou à un système de consolations ingénieuses ? Sans doute des croyants parmi les Maîtres régnaient. Mais Chateaubriand hésita-t-il jamais à jouer son éternité contre une caresse ? Barbey d'Aurevilly, que de fois trahit-il le Fils de l'Homme pour un baiser ? Ne triomphèrent-ils pas dans la mesure où ils trahirent leur Dieu ? Dès l'aube, les déchirantes plaintes des porcelets éveillèrent Jean. Comme chaque jeudi, il évita de pousser les volets, afin que le marché ne le vît pas. Sur le trottoir, tout contre la fenêtre, Mme Bourideys, la mercière, arrêta Noémi d'Artiailh pour lui demander si elle avait déjeuné. Goulûment Jean Péloueyre regardait cette Noémi qui avait dix-sept ans. Sa tête brune et bouclée d'ange espagnol n'était point faite pour un corps si ramassé ; mais Jean adorait le contraste d'un jeune corps dru, mal équarri et d'un séraphique visage qui faisait dire aux dames que Noémi d'Artiailh était jolie comme un tableau. Vierge de Raphaël qui eût été ragote, elle émouvait chez Jean le meilleur et le pire, l'incitait aux hautes pensées comme aux basses délectations.

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