Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les visages de la vie) - La clémence
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                    Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les visages de la vie) - La clémence C'était un doux pays illuminé de plaines  Où circulaient de longs troupeaux Dont on voyait les laines  Blanchir les prés et se mirer dans l'eau ;  C'étaient des champs de fleurs à l'infini : Un fleuve y sinuait de chaumière en chaumière ;  Son cours faisait, au loin, un geste de lumière ;  C'étaient des lacs, cernés de joncs ; tels de grands nids,  Où s'endormaient les oiseaux en silence,  Où seul, un vent très lent de paix et de clémence  Remuait l'air paisible autour d'un îlot d'or.  C'était l'heure du soir et des vagues étales  Quand l'écho lisse et pur double, de bord en bord,  La voix des passeurs d'eau sur les rives natales. Les villages songeaient au fond des avenues.  Persuasives et bienvenues Les bonnes volontés d'aimer et de bien vivre  Dilataient l'être - et l'esprit semblait ivre  Ou de joie attendrie ou de fière douleur.  Un peu de l'or des soirs pénétrait dans les fleurs  Qui se fermaient pour s'endormir ;  On regardait, au long des grands chemins, frémir  De haut en bas, les peupliers nocturnes ;  Le vol des angélus, sur les choses, planait ;  Un sens nouveau du monde, avec douceur, tombait  Des urnes Que l'infini et le mystère  Penchent, depuis des milliers d'ans,  Vers les désirs tendus et haletants Et les extases de la terre. Pures, dans le cristal taillées,  Les premières étoiles réveillées  Apparaissaient, une à une, sur l'horizon.  La tranquille rosée argentait le gazon ;  Une bonté mélancolique et fraîche  Venait des choses vers le coeur ;  Toute clarté, comme des flèches,  Pointait sa force en profondeur ;  Aux lointains bleus de calme et de prière,  L'ombre penchante épousait la lumière ;  Des mains jointes semblaient de la terre monter  Et s'élever toujours et s'exalter,  Et telle était l'ardeur de bienveillance  Qui vous poignait, qu'elle éclatait en violence  Et s'en allait, plus haut que le pardon lui-même,  Darder, vers ce désir extrême  D'être soudain la dupe ou bien la proie  D'une injustice - et d'en pleurer de joie. On souhaitait  Se dépouiller de tout orgueil ;  On souhaitait  Être celui qui fait accueil  Au sacrifice - et qui se tait ;  On souhaitait,  S'unir confusément à tout ce qui tremblait,  En ce soir pur et translucide  Comme des lueurs d'or dans un vitrail d'abside. On souhaitait enfin Se fondre et s'abîmer en ces épreuves claires Bonheur qu'on quitte, affres qu'on veut, douleur qu'on vainc, Et vivre, en leur tumulte intime et volontaire,  Comme un martyr ou comme un saint. Les chaumières, là-bas, dormaient au long des routes ;  Les fleurs et les couleurs s'éteignaient toutes ;  Mais l'écho lisse et pur doublait toujours, doublait encor,  De bord en bord,  À cette heure de calme et de vagues étales  La voix des passeurs d'eau des rivières natales.
                
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