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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les blés mouvants) - Les routes

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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les blés mouvants) - Les routes Comme des clous, les gros pavés Fixent au sol les routes claires : Lignes et courbes de lumière Qui décorent et divisent les terres En ce pays de bois et de champs emblavés. Les plus vieilles se souviennent du temps de Rome, Quand s'en venaient les Dieux Rôder dans les vergers des hommes D'autres ont aperçu la fée au manteau bleu Qui se glissait entre les saules Avec un ver luisant fixé sur son épaule ; Quelques-unes se complaisent aux longs détours, Pour visiter les croix qu'on dresse aux carrefours Ou les vierges qu'on fête en des niches de pierre ; Et les voici, celles qui ont senti la guerre Et sa bondissante colère Passer. Pendant l'hiver morne et tassé Autour des âtres, Les grand'routes grisâtres Semblent languir au loin, sous un ciel lourd et bas. Mais dès que les beaux jours les réchauffent là-bas, Toutes partent ensemble et s'adjugent la vie. Leurs grands gestes à travers champs convient Au travail vaste et clair Hommes, chevaux, herses, charrettes Et les gamins et les fillettes Qui s'arrêtent parfois pour écouter dans l'air Le chant flûté et saccadé d'une alouette. Alors Les grand'routes, dès le matin, s'en vont d'accord Sous les rameaux et les ombrages Vers les prés et les eaux, les bourgs et les villages ; Et sans fatigue et sans repos Elles longent le mur ou le fossé des clos ; Elles se haussent et s'inclinent Selon la courbe lente ou brusque des collines ; Elles tardent soudain à s'en aller plus loin Quand embaume le trèfle ou que fleure le foin ; Parfois l'ombre grande des nues Flotte seule à midi sur leur surface nue ; On les voit traverser les clairs arpents du blé Où s'activent les bras d'un travail rassemblé ; L'une s'éloigne à droite et puis sinue à gauche Vers un fermier qui bine ou vers un gars qui fauche ; L'autre descend, très humblement, tracer un rond Autour de la cabane où vit un bûcheron Les plus hautes et les plus larges Transportent sur leur dos de si compactes charges Qu'à les voir s'en aller, par les couchants vermeils, Avec leurs charrois pleins et leurs lourds attelages, On croirait que les toits inégaux d'un village Sont en marche vers le soleil. Ainsi les routes grandes ou petites Visitent De l'aube au soir, durant l'été, Et la ferme vivante et le clos déserté. Leur voisinage est doux à ceux qui, sur leur porte, S'assoient le soir en se parlant des choses mortes. Elles savent quel est le pas Qui tous les jours, à telle heure, s'en va Du bourg d'en haut au bourg d'en bas ; Elles mènent au cimetière ou à l'église, Elles mènent encor jusques au bois Où quelque gars violent et sournois Guette la fille qu'il courtise ; Elles connaissent tout : bonheur, tristesse ou deuil Que resserrent les murs et dérobent les seuils Si bien que c'est et la joie et la peine Qu'elles charrient de plaine en plaine Avec l'entêtement de la vaillance humaine.

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