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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les apparus dans mes chemins) - Celui de l'horizon

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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les apparus dans mes chemins) - Celui de l'horizon J'ai regardé, par la lucarne ouverte, au flanc D'un phare abandonné que flagellait la pluie : Des trains tumultueux, sous des tunnels de suie, Sifflaient, toisés de loin par des fanaux de sang. Le port, immensément hérissé de grands mâts, Dormait, huileux et lourd, en ses bassins d'asphalte ; Un seul levier, debout sur un bloc de basalte, Serrait en son poing noir un énorme acomas. Et, sous la voûte en noir de ce ciel de portor, Une à une, là-bas, s'éloignaient les lanternes Vers des quartiers de bruit, de joie et de tavernes, Où des femmes dansaient entre des miroirs d'or. Quand, plaie énorme et rouge, une voile, soudain, Tuméfiée au vent, cingla vers les débarcadères, Quelqu'un qui s'en venait des pays légendaires Parut, le front compact d'orgueil et de dédain. Comme des glaives d'or et des lances au clair, Il dégaînait sa rage et ses désirs sauvages Et ses cris durs frappaient les échos des rivages Ou traversaient, de part en part, l'ombre et la mer. Il était d'Océan. Il était grand d'avoir Mordu chaque horizon saccagé de tempête Et de maintenir haute et tenace sa tête Sous les poings de terreur que lui tendait le soir. Effrayant effrayé. Il cherchait le chemin Vers une autre existence éclatée en miracles, En un désert de rocs illuminés d'oracles, Où le chêne vivrait, où parlerait l'airain, Où tout l'orgueil serait : se vivre, en déploiements D'effroi sauvage, avec, sur soi, la voix profonde Et tonnante des Dieux, qui ont tordu le monde Plein de terreur, sous le froid d'or des firmaments. Et depuis des mille ans il défiait l'éclair, Dressant sur l'horizon les torses de ses voiles Et guettant les signaux des plus rouges étoiles Dont les cristaux sanglants se cassaient dans la mer.

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