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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les apparus dans mes chemins) - Celui du rien

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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les apparus dans mes chemins) - Celui du rien Je suis celui des pourritures grandioses Qui s'en revient du pays mou des morts ; Celui des Ouests noirs du sort Qui te montre, là-bas, comme une apothéose, Son île immense, où des guirlandes , De détritus et de viandes Se suspendent, Tandis, qu'entre les fleurs somptueuses des soirs, S'ouvrent les grands yeux d'or de crapauds noirs. Terrains tuméfiés et cavernes nocturnes, Oh ! mes grottes bâillant l'ennui par les crevasses Des fondrières et des morasses ! A mes arbres de lèpre, au bord des mares, Sèchent ton coeur et tes manteaux baroques, Vieux Lear ; et puis voici le noir Hamlet bizarre Et les corbeaux qui font la cour à son cadavre ; Voici René, le front fendu, les chairs transies, Et les mains d'Ophélie, au bord des havres, Sont ces deux fleurs blanches - moisies. Et les meurtres me font des plans de pourriture, Jusqu'au palais d'où s'imposent les dictatures De mon pays de purulence et de sang d'or. Sont là, les carcasses des empereurs nocturnes ; Les Nérons fous et les Tibères taciturnes, Gisant sur des terrasses de portor. Leur crâne est chevelu de vers - et leur pensée Qui déchira la Rome antique en incendies Fermente encor, dans leur tête décomposée. Des lémures tettent les pustules du ventre Qui fut Vitellius - et maux et maladies Crèvent, sur ces débris leurs poches de poisons. Je suis celui du pays mou des morts... Et puis voici ceux-là qui s'exaltaient en Dieu ; Voici les coeurs brûlés de foi, ceux dont le feu Etonnait les soleils, de sa lueur nouvelle : Amours sanctifiés par l'extatique ardeur " Rien pour soi-même et sur le monde, où s'échevèlent La luxure, l'orgueil, l'avarice, l'horreur, Tous les péchés, inaugurer, torrentiel De sacrifice et de bonté suprême, un ciel ! Et les Flamels tombés des légendes gothiques, Et les avares blancs qui se mangent les doigts, Et les guerriers en or immobile, la croix Escarbouclant d'ardeur leurs cuirasses mystiques, Et leurs femmes dont les regards étaient si doux ; Voici - sanguinolents et crus - ils sont là, tous. Je suis celui des pourritures méphitiques, Dans un jardin d'ombre et de soir, Je cultive sur un espalier noir, Les promesses et les espoirs. La maladie ? elle est, ici, la vénéneuse Et triomphale moissonneuse Dont la faucille est un croissant de fièvre Taillé dans l'Hécate des vieux Sabbats. La fraîcheur de l'enfance et la santé des lèvres, Les cris de joie et l'ingénu fracas Des bonds fouettés de vent, parmi les plaines, Je les flétris, férocement, sous mes haleines, Et les voici, aux coins de mes quinconces En tas jaunes, comme feuilles et ronces. Je suis celui des pourritures souveraines. Voici les assoiffés des vins de la beauté ; Les affolés de l'unanime volupté Qui fit naître Vénus de la mer toute entière ; Voici leurs flancs, avec les trous de leur misère ; Leurs yeux, avec du sang ; leurs mains, avec des ors ; Leurs livides phallus tordus d'efforts Brisés - et, par les mares de la plaine, Les vieux caillots noyés de la semence humaine. Voici celles dont l'affre était de se chercher Autour de l'effroi roux de leur péché, Celles qui se léchaient, ainsi que des lionnes - Langues de pierre - et qui fuyaient pour revenir Toujours pâles, vers leur implacable désir, Fixe, là-bas, le soir, dans les yeux de la lune. Tous et toutes - regarde - un à un, une à une, Ils sont, en de la cendre et de l'horreur Changés - et leur ruine est la splendeur De mon domaine, au bord des mers phosphorescentes. Je suis celui des pourritures incessantes. Je suis celui des pourritures infinies ; Vice ou vertu, vaillance ou peur, blasphème ou foi, Dans mon pays de fiel et d'or, j'en suis la loi. Et je t'apporte à toi ce multiple flambeau Rêve, folie, ardeur, mensonge et ironie Et mon rire devant l'universel tombeau.

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