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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : La multiple splendeur) - Autour de ma maison

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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : La multiple splendeur) - Autour de ma maison Pour vivre clair, ferme et juste, Avec mon coeur, j'admire tout Ce qui vibre, travaille et bout Dans la tendresse humaine et sur la terre auguste. L'hiver s'en va et voici mars et puis avril Et puis le prime été, joyeux et puéril. Sur la glycine en fleurs que la rosée humecte, Rouges, verts, bleus, jaunes, bistres, vermeils, Les mille insectes Bougent et butinent dans le soleil. Oh la merveille de leurs ailes qui brillent Et leur corps fin comme une aiguille Et leurs pattes et leurs antennes Et leur toilette quotidienne Sur un brin d'herbe ou de roseau ! Sont-ils précis, sont-ils agiles ! Leur corselet d'émail fragile Est plus changeant que les courants de l'eau ; Grâce à mes yeux qui les reflètent Je les sens vivre et pénétrer en moi Un peu ; Oh leurs émeutes et leurs jeux Et leurs amours et leurs émois Et leur bataille, autour des grappes violettes ! Mon coeur les suit dans leur essor vers la clarté, Brins de splendeur, miettes de beauté, Parcelles d'or et poussière de vie ! J'écarte d'eux l'embûche inassouvie : La glu, la boue et la poursuite des oiseaux Pendant des jours entiers, je défends leurs travaux ; Mon art s'éprend de leurs oeuvres parfaites ; Je contemple les riens dont leur maison est faite Leur geste utile et net, leur vol chercheur et sûr, Leur voyage dans la lumière ample et sans voile Et quand ils sont perdus quelque part, dans l'azur, Je crois qu'ils sont partis se mêler aux étoiles. Mais voici l'ombre et le soleil sur le jardin Et des guêpes vibrant là-bas, dans la lumière ; Voici les longs et clairs et sinueux chemins Bordés de lourds pavots et de roses trémières ; Aujourd'hui même, à l'heure où l'été blond s'épand Sur les gazons lustrés et les collines fauves, Chaque pétale est comme une paupière mauve Que la clarté pénètre et réchauffe en tremblant. Les moins fiers des pistils, les plus humbles des feuilles Sont d'un dessin si pur, si ferme et si nerveux Qu'en eux Tout se précipite et tout accueille L'hommage clair et amoureux des yeux. L'heure des juillets roux s'est à son tour enfuie, Et maintenant Voici le soleil calme avec la douce pluie Qui, mollement, Sans lacérer les fleurs admirables, les touchent ; Comme eux, sans les cueillir, approchons-en nos bouches Et que notre coeur croie, en baisant leur beauté Faite de tant de joie et de tant de mystère, Baiser, avec ferveur, délice et volupté, Les lèvres mêmes de la terre. Les insectes, les fleurs, les feuilles, les rameaux Tressent leur vie enveloppante et minuscule Dans mon village, autour des prés et des closeaux. Ma petite maison est prise en leurs réseaux. Souvent, l'après-midi, avant le crépuscule, De fenêtre en fenêtre, au long du pignon droit, Ils s'agitent et bruissent jusqu'à mon toit ; Souvent aussi, quand l'astre aux Occidents recule, J'entends si fort leur fièvre et leur émoi Que je me sens vivre, avec mon coeur, Comme au centre de leur ardeur. Alors les tendres fleurs et les insectes frêles M'enveloppent comme un million d'ailes Faites de vent, de pluie et de clarté. Ma maison semble un nid doucement convoité Par tout ce qui remue et vit dans la lumière. J'admire immensément la nature plénière Depuis l'arbuste nain jusqu'au géant soleil Un pétale, un pistil, un grain de blé vermeil Est pris, avec respect, entre mes doigts qui l'aiment ; Je ne distingue plus le monde de moi-même, Je suis l'ample feuillage et les rameaux flottants, Je suis le sol dont je foule les cailloux pâles Et l'herbe des fossés où soudain je m'affale Ivre et fervent, hagard, heureux et sanglotant.

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