Discutez cette pensée de Rousseau: j'aime mieux être un homme à paradoxes qu'un homme à préjugés (Emile) ?
Extrait du document
«
Diderot connaissait bien Rousseau, lui qui lui conseilla en 1749 de "donner l'essor à ses idées" et de dire son fait à la
société, en traitant la question posée par l'Académie de Dijon.
Et Jean-Jacques lui-même n'avait pas tort de prendre
la défense d'Alceste et de se reconnaître dans ce personnage.
Ii a été toute sa vie l'homme qui s'oppose, l'homme
qui contredit, l'homme qui se plaît à bousculer les opinions reçues....
Il s'en rendait bien compte et il s'en faisait
gloire; J'aime mieux être un homme à paradoxes, dit-il, dans le 2e livre de l'Émile, qu'un homme à préjugés.
I.
Qu'est-ce qu'un homme à paradoxes et un homme à préjugés ?
Un paradoxe est une opinion contraire à l'opinion commune, un préjugé une opinion admise avant tout examen,
parce qu'elle est reçue.
L'exemple de Rousseau fera bien comprendre.
Il a été, par excellence, « l'homme à
paradoxes » dans sa vie et dans ses écrits.
1.
Chacun de ses ouvrages a pour but de battre en brèche une idée communément admise.
Les arts et les sciences,
la civilisation...
la propriété, la société...
le théâtre....
L'Émile est un tissu de paradoxes (éducation purement
physique et sensible d'abord, pas de livres, pas de fables, pas d'enseignement moral ni religieux, etc.).
Son Contrat
social, avec ses fameuses théories de l'infaillibilité populaire, de la liberté et de l'égalité qu'on sauvegarde tout en y
renonçant, de l'intolérance religieuse de l'État, etc., est un perpétuel défi au sens commun et quelquefois même au
bon sens.
Paradoxe aussi que cette idée de la nature toujours bonne, de la passion divine en soi, fondement du
bonheur; de la supériorité du sentiment et de l'instinct sur la raison, en religion, en morale et dans tous les
domaines.
2.
Sa vie n'a pas été moins paradoxale, car dès le premier jour il a pris au sérieux son rôle de misanthrope et de
contempteur des préjugés.
Dans cette société raffinée du XVIIIe siècle il a fait figure de Huron, de Sauvage de
génie....
Fêté à Paris et à la cour, il repousse et décourage toutes les avances, renonce aux charmes de la société
(sa retraite à l'Ermitage fit scandale parmi ses amis et le brouilla avec Diderot), s'acoquine avec une servante
d'auberge qu'il dit n'avoir jamais aimée, la traîne partout ainsi que sa mère, abandonne ses cinq enfants, mène une
vie de bohème et de chemineau, etc.
II.
Vaut-il mieux être un homme à paradoxes qu'un homme à préjugés ?
Il ne faut pas, évidemment, être un homme à préjugés.
Mais tout préjugé n'est pas une erreur.
Il y a quelquefois du
courage et une certaine hardiesse à embrasser et à défendre des idées qui passent pour des préjugés et ne sont
plus telles quand elles sont raisonnées.
Souvent les préjugés condensent l'expérience des siècles.
De même un
paradoxe peut être une idée féconde; il peut être aussi une erreur et même une idée malfaisante.
Il est dangereux
de courir après le paradoxe.....
»
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