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Crépuscule - Apollinaire, Alcools

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Crépuscule Frôlée par les ombres des morts Sur l'herbe où le jour s'exténue L'arlequine s'est mise nue Et dans l'étang mire son corps Un charlatan crépusculaire Vante les tours que l'on va faire Le ciel sans teinte est constellé D'astres pâles comme du lait Sur les tréteaux l'arlequin blême Salue d'abord les spectateurs Des sorciers venus de Bohême Quelques fées et les enchanteurs Ayant décroché une étoile Il la manie à bras tendu Tandis que des pieds un pendu Sonne en mesure les cymbales L'aveugle berce un bel enfant La biche passe avec ses faons Le nain regarde d'un air triste Grandir l'arlequin trismégiste Crépuscule - Apollinaire, Alcools.

« Apollinaire dédia le poème Crépuscule issu du recueil Alcools à Marie Laurencin.

En composant Crépuscule le poète donna à celui-ci une tonalité très particulière, même ambiguë puisqu'il joue sur une alternance entre les domaines de la réalité et de la fiction.

Du poème émane donc une atmosphère de mystère, accentuée par la présence de la mort et la notion de théâtralité. Le poète nous offre en effet une vision de mort.

La scène se situe au crépuscule ; la nuit, les ténèbres envahissent les lieux et tout s'assombrit, baigne dans l'ombre, le noir.

Cette couleur représente justement cette idée de mort, couleur de deuil, lugubre, triste.

D'emblée les lieux deviennent inquiétants, hostiles.

Puis apparaissent « les ombres des morts » qui « matérialisent » cette idée de décès, de fin.

En effet, on ressent cette impression d'agonie, de mort prochaine.

Le poète exprime cette sensation par un verbe « s'exténue », et par certains adjectifs « pâles », « blême ».

La mort semble là en suspens, elle accorde un dernier sursis.

Les adjectifs expriment l'état maladif, morbide et cet état prédispose à mourir.

La mort envahit donc l'univers que nous offre Apollinaire.

D'un côté se meuvent « les ombres des morts », et l'on imagine là un cimetière où errent ces ombres ; on peut se situer également dans quelque château hanté.

Dans les deux cas, cette vision macabre est inquiétante, effrayante.

Apollinaire nous présente également un « pendu » qui déjà est pris dans la danse macabre, puisque mort il semble retrouver vie pour sonner des cymbales.

Et enfin la mort pèse sur les êtres de la scène. Cette menace constante est également ressentie par la présence de l'eau, « l'étang ».

Cette eau, que la nuit rend noire, devient inquiétante.

Aucune pénétration n'est possible.

L'étang offre une surface calme, mais noire et inquiétante car d'elle émane le mystère : il peut cacher quelque horrible secret, renfermer même la mort. Cependant une autre vision vient rassurer et de là naît l'ambiguïté.

En effet Apollinaire nous présente également une image de la scène, du théâtre et la sensation inquiétante donnée par la présence de la mort est effacée ou atténuée par la notion de théâtralité.

Apollinaire nous présente des êtres de théâtre, de scène, des « arlequins », « arlequines », des « nains ».

On croit assister là à une immense comédie, à un jeu.

Une animation prodigieuse règne dans ce lieu.

Ne serait-on pas dans un cirque ou une fête foraine, assistant à un spectacle en plein air ? En effet il existe une mise en scène tout comme au théâtre et les « tréteaux » signifient bien « les planches ».

Les acteurs et comédiens sont présents et les « spectateurs » attendent le commencement du spectacle.

Apollinaire réunit donc les conditions nécessaires pour créer une ambiance de fête, ambiance propre au théâtre, aux comédiens.

Il respecte là les rites du spectacle : la propagande faite par le « charlatan » qui « vante les tours », le désir de plaire au public exprimé par « l'arlequin blême » qui salue, la sonorité percutante donnée là par les cymbales.

On trouve une reconstitution parfaite de la vie des êtres de scène, vie agitée, animée, fébrile, faite de contacts fragiles avec ce public.

Apollinaire a donc apporté un peu de vie en présentant le mythe du théâtre et cet apport, en s'opposant à l'idée de mort, est une des causes de l'atmosphère mystérieuse régnant sur le poème. En effet, on découvre une tonalité étrange créée par la situation dans le temps tout d'abord.

Le crépuscule est un moment propice à l'imagination : le soir tombe, les ombres apparaissent, tout s'estompe.

Plus de contours particuliers ; on ne distingue plus très bien les formes, tout est flou.

L'éclairage produit aussi un certain effet : la seule lumière est la lumière lunaire, blafarde et glauque.

Le ciel est sans teinte et les astres sont « pâles comme du lait » : comparaison qui suggère bien cette lumière voilée, opaque.

La situation et l'éclairage favorisent donc l'apparition de ces morts errants et la présence de ceux-ci crée une impression de malaise, une peur d'être pris dans leur danse funèbre.

Leur présence semble d'ailleurs invraisemblable car Apollinaire nous entraîne dans un autre monde, un monde de cauchemar.

Cette invraisemblance est accentuée par l'apparition des sorciers, des fées et des enchanteurs, ces êtres de fiction qui accentuent ce passage dans un autre univers. Ils se réunissent en général pour assister à une messe noire et ils nous font penser à une oeuvre musicale : « Une Nuit sur le Mont Chauve ».

Mais ici ces « sorciers » ne sont que spectateurs, leur contexte habituel n'est pas respecté et de là naît encore la tonalité inquiétante.

Tout le poème est d'ailleurs un va-et-vient entre le réel et le fictif.

Alternance qui engendre un certain déséquilibre car le lecteur se retrouve sans repère et sans appui : à lui de reconnaître les fantasmes exprimés. Apollinaire prive volontairement le lecteur de ces repères car la présentation des personnages se fait très brève ; on ne fait qu'apercevoir l'être.

En effet Apollinaire noie sa présentation dans une énumération de détails sur l'extérieur et les figures n'apparaissent que par intermittence et très peu de temps.

Le poète a conservé le flou dans cette vision des êtres.

Le poème épouse donc un rythme assez rapide qui entraîne le lecteur dans un cercle infernal où il ne se reconnaît pas.

Et le poète joue aussi sur l'opposition du clair-obscur : sur le ciel sombre se détachent les « astres pâles comme du lait », l'arlequin « blême et l'étoile.

Contraste qui crée une impression de mystère supplémentaire.

Atmosphère angoissante, car la mort est présente et cette présence s'allie à l'idée de la fête et de l'agilité fantasque des comédiens qui « décrochent une étoile ». Apollinaire met une dernière touche en mélangeant toutes sortes de gens peu assortis : l'aveugle et le bel enfant, le nain et le géant...

Le poète a donc créé une atmosphère tendue, angoissante, par la présence de la mort, et pourtant animée et gaie par la notion du spectacle, de la comédie et par la coexistence de ces deux aspects d'où naît le pouvoir mystérieux du poème. Apollinaire a exprimé dans Crépuscule un certain fantasme.

La coexistence de la mort et de l'univers du théâtre exprime le trouble du poète.

Cette postulation vers la mort d'une part et vers la vie de l'autre, représentée par l'animation du théâtre, peut se rapprocher de celle de Baudelaire.

Dans les vers les plus angoissants de Crépuscule, Apollinaire reprend peut-être quelques échos de Spleen.. »

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