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Corneille, Cinna, acte I, scène 1.

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Corneille, Cinna, acte I, scène 1. EMILIE Impatients désirs d'une illustre vengeance Dont la mort de mon père a formé la naissance, Enfants impétueux de mon ressentiment, Que ma douleur séduite embrasse aveuglément, Vous prenez sur mon âme un trop puissant empire ; Durant quelques moments souffrez que je respire, Et que je considère, en l'état où je suis, Et ce que je hasarde, et ce que je poursuis. Quand je regarde Auguste au milieu de sa gloire, Et que vous reprochez à ma triste mémoire Que par sa propre main mon père massacré Du trône où je le vois fait le premier degré ; Quand vous me présentez cette sanglante image, La cause de ma haine, et l'effet de sa rage, Je m'abandonne toute à vos ardents transports, Et crois, pour une mort, lui devoir mille morts. Au milieu toutefois d'une fureur si juste, J'aime encor plus Cinna que je ne hais Auguste, Et je sens refroidir ce bouillant mouvement Quand il faut, pour le suivre, exposer mon amant. Oui, Cinna, contre moi, moi-même je m'irrite Quand je songe aux dangers où je te précipite. Quoique pour me servir tu n'appréhendes rien, Te demander du sang, c'est exposer le tien : Dune si haute place on n'abat point de têtes Sans attirer sur soi mille et mille tempêtes ; L'issue en est douteuse, et le péril certain : Un ami déloyal peut trahir ton dessein ; L'ordre mal concerté, l'occasion mal prise, Peuvent sur son auteur renverser l'entreprise, Tourner sur toi les coups dont tu veux le frapper ; Dans sa ruine même il peut t'envelopper ; Et quoi qu'en ma faveur ton amour exécute, Il te peut, en tombant, écraser sous sa chute. Ah ! cesse de courir à ce mortel danger ; Te perdre en me vengeant, ce n'est pas me venger. Un coeur est trop cruel quand il trouve des charmes Aux douceurs que corrompt l'amertume des larmes ; Et l'on doit mettre au rang des plus cuisants malheurs La mort d'un ennemi qui coûte tant de pleurs. Mais peut-on en verser alors qu'on venge un père ? Est-il perte à ce prix qui ne semble légère ? Et quand son assassin tombe sous notre effort, Doit-on considérer ce que coûte sa mort ? Cessez, vaines frayeurs, cessez, lâches tendresses, De jeter dans mon coeur vos indignes faiblesses ; Et toi qui les produis par tes soins superflus, Amour, sers mon devoir, et ne le combats plus : Lui céder, c'est ta gloire, et le vaincre, ta honte : Montre-toi généreux, souffrant qu'il te surmonte ; Plus tu lui donneras, plus il va te donner, Et ne triomphera que pour te couronner.

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