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Charles Baudelaire - ENIVREZ-VOUS !

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Charles Baudelaire - ENIVREZ-VOUS ! Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge; à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est. Et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront, il est l'heure de s'enivrer ; pour ne pas être les esclaves martyrisés du temps, enivrez-vous, enivrez-vous sans cesse de vin, de poésie, de vertu, à votre guise. (In Les petits poèmes en prose) Introduction. Dans ce poème en prose, la pensée de Baudelaire rejoint l'inspiration fondamentale des Fleurs du mal. Il s'agit, pour la créature, d'échapper, coûte que coûte, à sa misère : l'ivresse est un des moyen de cette évasion. Le texte. Enivrez-vous : la brutalité de l'objurgation attire le lecteur en le provoquant. Les premiers mots du poème appellent une remarque semblable : il faut être toujours ivre. Le dogmatisme de la proposition contraste avec la nature du conseil; c'est le ton du moraliste : ne s'agit-il pas de morale, après tout, ou, du moins, d'art de vivre ? Puis trois monosyllabes, Tout est là, renforcent le caractère impérieux de la règle ainsi posée; et la même idée est reprise aussitôt, sous une forme un peu différente : c'est l'unique question. Y a-t-il ici une tautologie? Sans doute, mais tel est le procédé ordinaire de l'homme qui cherche à entraîner une adhésion : il répète son invitation comme il enfoncerait un clou.

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