Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Liturgies intimes) - A Charles Baudelaire
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Commentaire d’un poème de Verlaine « à Charles Baudelaire »
Introduction : Dès l’adolescence, Verlaine est partagé entre les « deux positions simultanées » dont parle Baudelaire
« l’une vers Dieu, l’autre vers Satan ».
Dans ce poème, Verlaine, qui n’a jamais connu Baudelaire affirme l’influence que
ce dernier a eue sur sa poésie, même si les deux hommes n’ont jamais pu se rencontrer.
Baudelaire meurt en 1967 ; ce
poème peut donc apparaître comme un poème d’adieu.
A cette époque, la vie de Verlaine est assombrie par un drame
personnel.
Verlaine semble s’être mis à boire pour échapper à la « tristesse anxieuse » qui hante sa vie.
Ainsi, le spleen
envahit ce poème dans lequel Verlaine chante la mort de Baudelaire autant qu’il révèle sa propre douleur.
Projet de lecture : Verlaine intitule son poème à Charles Baudelaire », ainsi le lecteur s’attend à un hommage pourtant
le poème s’ouvre sur ces vers « je ne t’ai point connu, je ne t’ai pas aimé ».
Dans quelle mesure peut-on dire que
derrière ses apparences d’éloge funèbre sarcastique ce poème dissimule un véritable hommage de Verlaine à
Baudelaire ? Bien davantage, pourquoi pouvons-nous dire que ces deux poètes peuvent apparaître frères dans le mal ?
I Un éloge funèbre détourné
1) Le problème de l’adresse
Malgré le titre du poème qui donne tout son sens à ce texte, le poème ne comporte aucune allusion explicite à Charles
Baudelaire mais bon nombre de références implicites.
Verlaine ne place pas son poème sous le signe de l’éloge funèbre
explicite loin de là comme le laisse entendre le premier paragraphe : « Je ne te connais point et je t’aime encore
moins ».
Le poème semble donc s’ouvrir sur un rapport d’antagonisme entre les deux poètes.
Le « je » poétique qui
renvoie à Verlaine s’oppose nettement au « tu ».
Cet antagonisme est renforcé par les parallélismes de construction
dans les deux premiers vers.
Ainsi, ce poème est problématique puisqu’il est adressé à un homme qui semble maîtrisé et
s’ouvre sur une réflexion beaucoup plus large sur la condition des hommes face à la mort « Hein ? mourir simplement
nous, hommes de pêché.
» Pourtant à quoi bon donner un tel titre au poème ? Par ce titre Verlaine nous encourage luimême à lire ce poème au regard de la figure de Baudelaire.
Ainsi, l’éloge n’est pas direct mais implicite et se situe dans
la quête poétique.
2) La rupture de l’harmonie poétique : le détournement de la forme du sonnet
Dans ce poème Verlaine joue avec les codes poétiques comme Baudelaire lui-même qui finira par écrire en prose comme
en témoigne Le Spleen de Paris.
Verlaine utilise dans ce poème la forme fixe du sonnet, forme traditionnellement utilisée
pour traduire l’harmonie poétique.
Le sonnet est un poème de quatorze vers composé de deux quatrains et de deux
tercets et soumis à des règles fixes pour la disposition des rimes.
La structure des quatre rimes la plus habituelle chez
les français est la rime marotique au XVIème ABBA ABBA CCD EED puis a lieu un changement dans l'ordre du dernier
tercet avec les rimes françaises des XVIè-XIXème ABBA ABBA CCD EDE.
Or dans notre poème nous avons ABBA ABAB
CCA CCA.
Verlaine subvertit les normes poétiques pour donner ce sonnet un relief très particulier.
Peut-être pouvons
déceler dans le choix des rimes croisées du second quatrain une forme mimétique du fond.
Les rimes se croisent et se
répondent de la même façon que la poésie de Verlaine s’enrichit de celle de Baudelaire tout en y ajoutant des éléments
qui lui sont propres.
La reprise de la rime A en [é] dans les deux tercets et de la rime C confère au poème une nouvelle
harmonie poétique fondée sur des échos et des systèmes de répétition.
Transition : Verlaine propose une liturgie déroutante qui brise les codes de l’éloge funèbre et détruit l’harmonie
poétique ; pourtant, ce faisant, il se montre plus proche de Baudelaire que jamais.
Il n’écrit un poème de célébration
mais il écrit « à la manière de Baudelaire » pour mieux mettre en avant ses qualités de poète.
II L’esthétique du spleen
1) La mort comme thème obsédant
La mort s’impose comme le motif central du poème.
Elle est convoquée par tout un système d’images concrètes.
Elle
est appelée tout d’abord par la métaphore les « Pieds joints ».
Il faut souligner l’importance de la majuscule qui confère
alors à cette expression le statut d’allégorie, figure très utilisée par Baudelaire.
Cette métaphore convoque un univers
morbide, l’image du cadavre qui repose dans sa tombe scellée par les « clous froids ».
L’expression « Pieds joints » a
également le statut de synecdoque car elle renvoie au corps du poète.
Pour Verlaine, la mort n’apparaît pas comme un
accomplissement, une forme de salut.
Loin de là, c’est une chute, une déchéance : « tu tombas ».
Verlaine n’insiste
pas sur le triomphe du poète sur la mort mais sur sa vulnérabilité.
Le poète comme tous les autres hommes est voué à
mourir.
La mort est envisagée sous son angle le plus atroce et désespéré.
Nous sommes bien dans l’ordre du spleen
baudelairien.
2) Le chaos de la forme
Là encore, la forme du poème est en parfait adéquation avec le fond.
En effet, le chaos de la mort transparaît dans la
déconstruction de la forme et dans la dissonance de la musique Verlainienne.
Pour ce qui est des sonorités, nous
pouvons relever des allitérations grinçantes tels que « Ci, ça, grimaces » ou encore des assonances entêtantes :.
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