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Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal) - Paysage

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Charles BAUDELAIRE (1821-1867) (Recueil : Les fleurs du mal) - Paysage Je veux, pour composer chastement mes églogues, Coucher auprès du ciel, comme les astrologues, Et, voisin des clochers, écouter en rêvant Leurs hymnes solennels emportés par le vent. Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde, Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde ; Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité, Et les grands ciels qui font rêver d'éternité. Il est doux, à travers les brumes, de voir naître L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre, Les fleuves de charbon monter au firmament Et la lune verser son pâle enchantement. Je verrai les printemps, les étés, les automnes ; Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones, Je fermerai partout portières et volets Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais. Alors je rêverai des horizons bleuâtres, Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres, Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin, Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin. L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre, Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ; Car je serai plongé dans cette volupté D'évoquer le Printemps avec ma volonté, De tirer un soleil de mon coeur, et de faire De mes pensers brûlants une tiède atmosphère.

« L'orientation du commentaire Le poème est composé de deux tableaux successifs dont l'inspiration et la facture sont très différents.

L'un s'appuie sur l'observation.

L'autre donne libre cours à l'imagination.

Le commentaire s'oriente donc naturellement vers l'analyse de l'art baudelairien sous ces deux aspects antithétiques. ESQUISSE D'UN COMMENTAIRE 1.

Dans le premier point, vous notez l'originalité du thème : la ville vue en perspective avec la géométrie des lignes verticales, tuyaux et clochers mis sur le même plan.

Ainsi les éléments de la civilisation industrielle acquièrent droit de cité dans l'art; ailleurs Baudelaire appellera les cheminées d'usine ces « obélisques de l'industrie ». L'originalité du thème est soulignée par un effet de surprise.

Le premier vers annonce l'intention du poète : « composer chastement mes églogues » (c'est-à-dire des poèmes champêtres), et c'est de la ville qu'il va être question. Le mouvement est ascendant : à partir des fumées de cheminées, on aboutit à la ligne plane du ciel, dont les dimensions sont encore agrandies par le pluriel (« les grands ciels ») et par l'évocation de l'infini dans le temps (« l'éternité »).

Une impression de calme bienfaisant est suggérée par le rythme ternaire du vers : « Et les grands ciels/qui font rêver/d'éternité.

» en accord avec les bruits de la cité arrivant assourdis jusqu'à la mansarde du poète. L'éclairage pâle du tableau, la dominante grise et sombre indiquée par « les brumes » et « les fleuves de charbon », tout concourt avec le rythme des vers, le plus souvent réguliers et lents, à communiquer une impression de demi-teinte et de recueillement. 2.

Le contraste qui s'établit avec le tableau suivant vient confirmer la supériorité de l'imagination sur le réel, comme source d'inspiration. Le rythme des vers plus haletant évoque l'enthousiasme de vivre, en accord avec cette énumération fiévreuse des éléments d'un cadre idyllique (« des jardins, des jets d'eau...

des baisers,...

des oiseaux...

») qui s'étend sur quatre vers. L'ensemble suggère un monde d'éternel printemps, protégé et rassurant, où la paix et le bonheur sont garantis.

A travers la personnification de l'Émeute un peu trop classique peut-être, Baudelaire proscrit son ennemi par excellence : l'agitation intérieure et extérieure.

Enfin, la calme et confiante résolution qui s'exprime dans les derniers vers montre la foi du poète dans l'art qui est remède et bonheur. En conclusion, vous pourrez rappeler que le choix de ces thèmes — la vie moderne, la transfiguration de la nature en un univers nouveau, la libération de l'imagination — situe le poète à l'avant-garde de son époque et annonce tout ce que lui devront les symbolistes et même les poètes de notre temps. REMARQUE D'une manière générale, on vous met en garde contre cette présentation d'un commentaire qui se contente d'étudier successivement dans l'ordre de leur déroulement les diverses parties du texte.

On vous demande au contraire de grouper vos remarques autour de quelques sources d'intérêt essentielles.

Ici pourtant, exceptionnellement, ce plan est justifié, puisque les deux parties du texte font valoir, en les opposant, deux aspects essentiels de l'inspiration baudelairienne. Une autre orientation possible du commentaire La conclusion du commentaire ci-dessus, en soulignant que le poème révèle l'originalité de Baudelaire et éclaire son influence sur les générations à venir, nous suggère un autre commentaire possible : on peut retrouver ici, en accord avec ce qu'il nous révèle dans ses études consacrées à la peinture, à la musique, à la littérature, les traits essentiels de sa conception de l'art. L'art poétique de Baudelaire tel que nous le révèle le poème a) Un art moderne.

En se refusant à une idéalisation simpliste, en se révélant sensible à la poésie d'éléments empruntés à la vie contemporaine : la ville, ses usines, le charme de sa grisaille, Baudelaire est un des premiers à avoir chanté la « modernité », et ce qu'il appelle « le paysage des grandes villes ».

C'est-à-dire, comme il l'exprime lui-même dans le Salon de 1859 : « la collection des grandeurs et des beautés qui résultent d'une puissante agglomération d'hommes et de monuments, le charme profond et compliqué d'une capitale âgée et vieillie dans les gloires et les tribulations de la vie ». b) Un art créateur.

Pour Baudelaire l'art n'est pas la nature : « je trouve inutile et fastidieux de représenter ce qui est parce que rien de ce qui est ne me satisfait.

» (Salon de 1859).

« Tout l'univers n'est qu'un magasin d'images et de signes auxquels l'imagination donnera une place et une valeur relative; c'est une espèce de pâture que l'imagination doit digérer, transformer.

» (L'œuvre et la vie d'E.

Delacroix).

Aussi Baudelaire recrée-t-il un monde grâce à l'alchimie de son imagination qui, par là-même, devient la « reine des facultés ». La nature revue et corrigée par l'homme devient un jardin, l'eau courante elle-même est transformée en jet d'eau et la pierre fine et rare — l'albâtre — où elle retombe, en fait un ornement de luxe.

L'artificiel est ainsi l'un des principaux éléments de ce pays de rêve et réalise le souhait de l'Invitation au voyage : « Là tout n'est qu'ordre et beauté Luxe, calme et volupté.

» Les derniers vers énoncent cette conception de l'art : « ...évoquer le Printemps avec ma volonté, ...tirer un soleil de mon cœur.

» L'artiste fait de la surréalité grâce à une démarche intellectuelle d'une part, et inspirée de l'autre.

« Oui, l'imagination fait le paysage.

» (Salon de 1859) REMARQUE Pour étayer et justifier l'exactitude de cet exposé des lignes essentielles de l'art poétique de Baudelaire tel qu'il se dégage du poème, nous avons fait appel à des citations empruntées à ses œuvres critiques.

Il va d^e soi que la culture du candidat moyen ne peut normalement s'appuyer sur de telles références.

Mais outre que ces citations succinctes mais précises peuvent vous faciliter le commentaire d'autres poèmes baudelairiens, nous avons voulu surtout souligner que plusieurs orientations de commentaire sont possibles à partir du même texte.

Chaque candidat oriente le commentaire en fonction de sa culture personnelle et de sa sensibilité.

Ce qu'on lui demande avant tout, c'est d'exprimer avec sincérité ses impressions.. »

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