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Cardinal de Retz, Mémoires, seconde partie.

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Cardinal de Retz, Mémoires, seconde partie. Mme de Chevreuse n'avait plus même de restes de beauté quand je l'ai connue. Je n'ai jamais vu qu'elle en qui la vivacité suppléât le jugement. Elle lui donnait même assez souvent des ouvertures si brillantes, qu'elles paraissaient comme des éclairs ; et si sages, qu'elles n'eussent pas été désavouées par les plus grands hommes de tous les siècles. Ce mérite toutefois ne fut que d'occasion. Si elle fût venue dans un siècle où il n'y eût point eu d'affaires, elle n'eût pas seulement imaginé qu'il y en pût avoir. Si le prieur des chartreux lui eût plu, elle eût été solitaire de bonne foi. M. de Lorraine, qui s'y attacha, la jeta dans les affaires ; le duc de Buchinchan et le comte de Holland l'y entretinrent ; M. de Châteauneuf l'y amusa . Elle s'y abandonna, parce qu'elle s'abandonnait à tout ce qui plaisait à celui qu'elle aimait. Elle aimait sans choix, et purement parce qu'il fallait qu'elle aimât quelqu'un. Il n'était pas même difficile de lui donner, de partie faite, un amant ; mais dès qu'elle l'avait pris, elle l'aimait uniquement et fidèlement. Elle nous a avoué, à Mme de Rhodes et à moi, que par un caprice, ce disait-elle, de la fortune, elle n'avait jamais aimé le mieux ce qu'elle avait estimé le plus, à la réserve toutefois, ajouta-t-elle, du pauvre Buchinchan. Son dévouement à sa passion, que l'on pouvait dire éternelle quoiqu'elle changeât d'objet, n'empêchait pas qu'une mouche ne lui donnât quelquefois des distractions ; mais elle en revenait toujours avec des emportements qui les faisaient trouver agréables. Jamais personne n'a fait moins d'attention sur les périls, et jamais femme n'a eu plus de mépris pour les scrupules et pour les devoirs : elle ne reconnaissait que celui de plaire à son amant.

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