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Beaumarchais, Le Barbier de Séville, acte I, scène 2.

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Beaumarchais, Le Barbier de Séville, acte I, scène 2. LE COMTE. Ta joyeuse colère me réjouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid. FIGARO. C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maître. Voyant à Madrid que la république des Lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait ; fatigué d'écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d'argent ; à la fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j'ai quitté Madrid, et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra Morena, l'Andalousie ; accueilli dans une ville, emprisonné dans l'autre, et partout supérieur aux événements ; loué par ceux-ci, blâmé par ceux-là ; aidant au bon temps, supportant le mauvais ; me moquant des sots, bravant les méchants ; riant de ma misère et faisant la barbe à tout le monde ; vous me voyez enfin établi dans Séville, et prêt à servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira de m'ordonner. LE COMTE. Qui t'a donné une philosophie aussi gaie ? FIGARO. L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. (...)

« Beaumarchais, Le Barbier de Séville, acte I , scène 2. LE COM TE.

Ta joyeus e c olère me réjouit.

M a i s tu ne me dis pas c e qui t'a fait quitter M adrid. FIGARO.

C'es t mon bon ange, Exc e l l e n c e, puis que je s u i s as s e z heureux pour retrouver mon anc ien maître.

Voyant à M adrid que la république des Lettres était c e l l e d e s l o u p s , toujours armés les uns c ontre les autres , et que, livrés au mépris où c e ris i b l e a c harnement les c onduit, tous les ins e c tes , les m o u s tiques , les c o u s i n s , les c ritiques , les maringouins , les e n v i e u x , l e s feuillis tes , les libraires , les c e n s eurs , et tout c e qui s 'attac h e à l a p e a u d e s m a l h e u r e u x g e n s de lettres , ac h e v a i t d e LE COM TE.

Qui t'a donné une philos o p h i e a u s s i gaie ? FIGARO.

L'habitude du malheur.

Je me pres s e de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer.

(...) Avec le Barbier de Séville, nous avons affaire à une trilogie théâtrale qui comprend aussi Les Noces de Figaro et La mère coupable.

Beaumarchais raconte en effet dans ces trois pièces l’histoire de Figaro et de son maitre, le Comte Almaviva, avec un esprit brillant, étincelant, qui n’est pas sans accents contestataires et critiques pour la société de son temps.

Dans la scène qui nous occupe, Beaumarchais met en scène la rencontre de Figaro et de son maitre, alors que ce dernier cherche à trouver un moyen de rentrer en contact avec Rosine, jeune fille dont il est tombe amoureux. L’un des enjeux de notre texte est donc de préparer l’action à venir, en présentant la rencontre des deux protagonistes qui seront au cœur des événements dans la suite de l’œuvre.

Mais ce texte est aussi l’occasion d’une démonstration de virtuosité verbale, la mise en œuvre du talent extraordinaire de Beaumarchais, de sa maitrise prodigieuse de la langue.

En effet, Figaro procède à quelque chose de foncièrement anti théâtral, a savoir un récit.

Alors que le théâtre montre des actions (drame vient du grec drama, actes) Figaro raconte, narre.

Mais il le fait avec une virtuosité et un esprit Picaresque qui le fait rivaliser, sinon dépasser, son propre maitre. La question au centre de notre texte sera donc de montrer comment Figaro conquiert une position dominante par rapport a son maitre grâce a sa maitrise du langage. Si dans un premier temps nous pouvons étudier cette scène comme un exemple de scène d’exposition et de rencontre entre deux personnages, nous verrons ensuite la tonalite picaresque du récit de Figaro, avant de voir comment ce dernier, par son usage poétique du langage, parvient à renverser les rapports dominants/domines entre lui-même et son ancien maitre. I.

Une scène de rencontre entre deux personnages de la Comédie classique a.

Les retrouvailles de deux personnages Etudiant cette scène, nous devons commencer par la situer dans l’économie générale de l’action.

Il s’agit de la deuxième scène de l’Acte I, c'est-à-dire d’une scène d’exposition.

Par scène d’exposition, nous entendons une scène située au début d’une pièce qui a pour principale fonction d’introduire les personnages principaux de la pièce et d’annoncer quel problème sera au centre de cette dernière.

Notre scène ne déroge pas aux lois du genre, dans la mesure où elle met en présence deux individus qui se connaissent déjà, le Comte Almaviva et son ancien serviteur, le sémillant Figaro.

C’est ce dernier qui nous apprend cette information : « C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maître ». Nous dirons donc que notre scène est à la fois une scène d’exposition puisqu’elle introduit deux personnages qui seront fondamentaux dans la suite de l’œuvre (le comte Almaviva veut séduire la jeune Rosine et sollicitera l’aide de Figaro pour cela) et une scène de reconnaissance, puisque deux personnages qui se connaissaient déjà sont mis en présence. b.

Une scène utile a l’action Allant plus loin, nous dirons qu’il s’agit d’une scène utile à l’action générale de l’œuvre, qui la fait grandement avancer.

En effet, dans la première scène du Barbier de Séville, nous voyons le Comte seul en train de guetter les fenêtres de celle qu’il veut séduire et qui se demande de quelle manière il va pouvoir entrer en contact avec elle.

L’entrée en scène de Figaro à la scène suivante, celle qui nous occupe, vient lui présenter une solution possible : employer pour favoriser le succès de ses amours celui qui fut son serviteur.

Nous dirons donc que la mise en présence du Comte et de Figaro dans la scène deux de l’acte I permet à l’action théâtrale de progresser, puisqu’elle met en place les conditions de la solution du problème central, à savoir la séduction de Rosine par le Comte. II.

Une narration théâtrale influencée par le genre Picaresque a.

Le récit d’une vie picaresque Nous étudierons a présent ce qui constitue le cœur de notre texte, a savoir la narration que fait Figaro de sa propre vie depuis qu’il s’est séparé de son ancien maitre, le Comte Almaviva : « Voyant à M adrid que la république des Lettres était c e l l e d e s l o u p s , toujours armés les uns c ontre les autres , et que, livrés au mépris où c e ris i b l e a c harnement les c onduit, tous les ins e c tes , les m o u s tiques , les c o u s i n s , les c ritiques , les maringouins , les e n v i e u x , l e s feuillis tes , les libraires , les c e n s eurs , et tout c e qui s 'attac h e à l a p e a u d e s m a l h e u r e u x g e n s de lettres , ac h e v a i t d e d é c hiqueter et s u c er le peu de s u b s tanc e qui leur res tait ; fatigué d'éc rire, ennuyé de moi, dégoûté des au C ’ e s t l’influenc e du Pic ares que qui peut nous apparaitre fondamentale pour entendre les enjeux de c ette tirade.

En effet, le pic ares que était un genre c élèbre en Franc e au XVIIIe s i è c le (pens o n s au Gil Blas de Santillane d e L e s age) c arac téris é par la c ouleur loc a l e e s p a g n o l e , l a m u l t i p l i c ité des aventures , la prés e n c e d ’ u n m i l i e u s o c ial interlope et d’un héros qui tac he de s urvivre en dépit des diffic ultés toutes c o n c rètes (faim, manque d’argent, dangers …) qu’il renc ontre.

C’es t a un héros Pic are b.

L’énonciation d’une philosophie du malheur Mais par ailleurs, ce texte peut nous intéresser parce que l’expérience du malheur et d’une vie aventureuse qui a été celle de Figaro débouche sur une philosophie bien particulière.

C’est le Comte Almaviva qui interroge Figaro à ce propos : LE COM TE.

Qui t'a donné une philos o p h i e a u s s i gaie ? FIGARO.

L'habitude du malheur.

Je me pres s e de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer.

(...) Il faut ici remarquer l’une des caractéristiques de l’art Littéraire de Beaumarchais : sa capacité à énoncer des propositions avec la limpidité d’un moraliste de l’âge classique.

Car cette sentence : « Je me presse de rire de tout, de peur d’être oblige d’en pleurer » est éminemment célèbre.

Elle condense en effet une philosophie de l’existence humaine en deux propositions qui jouent sur un chiasme (la différence entre rire/pleurer) qui ont toutes deux le même nombre de syllabes (neuf) si nous les décomptons comme nous le ferions pour de la poésie.

Cette sentence admirable résume parfaitement le rapport a l’existence de Figaro, en montrant comment sa gaieté est fonde sur une sagesse et une expérience du malheur, ainsi que sur un choix réfléchie de la gaieté contre la tristesse. III.

Le renversement des positions Maitre/Valet par la maitrise du langage a.

Un usage poétique du langage Enfin, nous étudierons ce qui peut nous apparaitre fondamental dans ce texte : à savoir le renversement des positions traditionnelles de Maitre et de Valet.

En effet, dans le théâtre classique, le couple du Maitre et du Valet est omniprésent : nous le trouvons bien entendu chez Molière et plus tard chez Marivaux.

Mais il faut bien voir quelle inféodation au maitre est celle du valet : par exemple, Sganarelle dans leDon Juan de Molière est soumis à son gentilhomme de maitre.

Mais les choses évoluent dans le théâtre de Beaumarchais, ou nous voyons parfaitement dans l’ensemble de la pièce que Figaro est non seulement indispensable au Comte, qui n’arriverait a rien sans lui, mais sans doute plus intelligent et capable que ce dernier.

Cette affirmation du rôle de Figaro passe par le langage.

Nous pouvons en effet noter dans sa tirade picaresque une véritable virtuosité, une capacité parfaite à employer les mots et à jouer d’eux.

Par exemple : « Voyant à Madrid que la république des Lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait… ». Dans cet extrait, Figaro montre la richesse et l’étendue de son vocabulaire, ainsi que sa capacité à faire se succéder des termes figures pour designer des individus (tous les insectes, les moustiques, les cousins) avant d’introduire des ternes concrets (les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs) qui associent et identifient ces derniers aux animaux dont il a été précédemment question.

Nous dirons donc que Figaro se rend égal sinon supérieur à son maitre par la richesse de son expression, son usage poétique et figure du langage, qui contraste avec la platitude des questions du Comte : LE COM TE.

Qui t'a donné une philos o p h i e a u s s i gaie ? b.

La revanche du valet ou la conquête d’une position dominante Nous conclurons donc en disant que grâce à sa maitrise du langage, Figaro parvient à conquérir une position dominante.

En effet, si nous étudions les rapports théâtraux entre personnages en termes de rapports de force, nous pouvons voir que l’avantage revient à Figaro.

Au théâtre, les interactions sont interprétables au moyen du concept de « taxeme », c'est-à-dire au moyen de marqueurs de positions dominantes ou dominées dans l’échange.

Par exemple, le fait de parler avec un niveau de langue soutenu ou de monopoliser le temps de parole est des marqueurs de positions hautes.

A l’inverse, poser une question qui dénote une ignorance ou parler avec un niveau de langue relâche sont autant de marques de positions basses.

Nous dirons donc que Figaro, en raison de la qualité de son expression et de la dure de celle-ci (c’est principalement lui qui parle dans notre texte) renverse les positions dominant/domine dans notre scène. Conclusion Dans un premier temps, nous avons vu que nous avions affaire a une scène a la fois d’exposition et de retrouvailles, introduisant les principaux protagonistes de l’œuvre.

Ensuite, nous avons étudié la dimension picaresque du récit de vie par Figaro.

Enfin, nous avons vu comment, par la maitrise du langage et la durée de sa prise de parole, Figaro parvenait à inverser les relations dominées/dominant avec son maitre.Le mariage de Figaro achèvera ce renversement de positions sociales en affirmant courageusement, sinon révolutionnairement : « Par le sort de la naissance L’un est roi, l’autre est berger Le hasard fit leur distance L’esprit seul peut tout changer ! ». »

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