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Anouilh: Antigone face à Créon

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[Antigone a désobéi aux ordres du roi Créon, son oncle. Elle a enseveli le corps de Polynice, son frère. Elle encourt, par sa désobéissance, la peine de mort. Dans cette scène, Antigone comparaît devant Créon qui cherche à s'expliquer sa conduite et à lui sauver la vie. Créon la regarde et murmure soudain. — L'orgueil d'Oedipe. Tu es l'orgueil d'Oedipe. Oui, maintenant que je l'ai retrouvé au fond de tes yeux, je te crois. Tu as dû penser que je te ferais mourir. Et cela te paraissait un dénouement tout naturel pour toi, orgueilleuse ! Pour ton père non plus — je ne dis pas le bonheur, il n'en était pas question — le malheur humain, c'était trop peu. L'humain vous gêne aux entournures dans la famille. Il vous faut un tête-à-tête avec le destin et la mort. Et tuer votre père et coucher avec votre mère et apprendre tout cela après, avidement, mot par mot. Quel breuvage, hein, les mots qui vous condamnent ? Et comme on les boit goulûment quand on s'appelle Oedipe, ou Antigone. Et le plus simple après, c'est encore de se crever les yeux et d'aller mendier avec ses enfants sur les routes... Eh bien ! non. Ces temps sont révolus pour Thèbes. Thèbes a droit maintenant à un prince sans histoire. Moi, je m'appelle seulement Créon, Dieu merci. J'ai mes deux pieds par terre, mes deux mains enfoncées dans mes poches et, puisque je suis roi, j'ai résolu, avec moins d'ambition que ton père, de m'employer tout simplement à rendre l'ordre de ce monde un peu moins absurde, si c'est possible. Ce n'est même pas une aventure, c'est un métier pour tous les jours et pas toujours drôle, comme tous les métiers. Mais puisque je suis là pour le faire, je vais le faire... Et si demain un messager crasseux dévale du fonds des montagnes pour m'annoncer qu'il n'est pas très sûr non plus de ma naissance, je le prierai tout simplement de s'en retourner d'où il vient et je ne m'en irai pas pour si peu regarder ta tante sous le nez et me mettre à confronter les dates. Les rois ont autre chose à faire que du pathétique personnel, ma petite fille. Jean Anouilh, Antigone, La Table Ronde. Quels motifs Créon trouve-t-il à la conduite d'Antigone ? Comment justifie-t-il sa propre position ? Vous paraît-il vraiment clairvoyant sur ces deux points ? INTRODUCTION Antigone ayant enfreint les ordres du roi Créon, tous deux s'affrontent dans une scène où il essaie de la sauver malgré elle. Créon cherche une explication à son geste, mais Antigone lui affirme qu'elle ne croyait pas jouir de l'impunité, au contraire. Dans cette longue réplique, Créon découvre la personnalité de sa nièce en même temps que l'opposition fondamentale de leurs attitudes face à la vie. C'est à partir de cette opposition que se développe son argumentation, qui se veut à la fois une analyse et un plaidoyer.

« [Antigone a désobéi aux ordres du roi Créon, son oncle.

Elle a enseveli le corps de Polynice, son frère.

Elle encourt, par sa désobéissance, la peine de mort.

Dans cette scène, Antigone comparaît devant Créon qui cherche à s'expliquer sa conduite et à lui sauver la vie. Créon la regarde et murmure soudain.

— L'orgueil d'Œdipe.

Tu es l'orgueil d'Œdipe.

Oui, maintenant que je l'ai retrouvé au fond de tes yeux, je te crois.

Tu as dû penser que je te ferais mourir.

Et cela te paraissait un dénouement tout naturel pour toi, orgueilleuse ! Pour ton père non plus — je ne dis pas le bonheur, il n'en était pas question — le malheur humain, c'était trop peu.

L'humain vous gêne aux entournures dans la famille.

Il vous faut un tête-à-tête avec le destin et la mort.

Et tuer votre père et coucher avec votre mère et apprendre tout cela après, avidement, mot par mot.

Quel breuvage, hein, les mots qui vous condamnent ? Et comme on les boit goulûment quand on s'appelle Œdipe, ou Antigone.

Et le plus simple après, c'est encore de se crever les yeux et d'aller mendier avec ses enfants sur les routes...

Eh bien ! non.

Ces temps sont révolus pour Thèbes.

Thèbes a droit maintenant à un prince sans histoire.

Moi, je m'appelle seulement Créon, Dieu merci.

J'ai mes deux pieds par terre, mes deux mains enfoncées dans mes poches et, puisque je suis roi, j'ai résolu, avec moins d'ambition que ton père, de m'employer tout simplement à rendre l'ordre de ce monde un peu moins absurde, si c'est possible.

Ce n'est même pas une aventure, c'est un métier pour tous les jours et pas toujours drôle, comme tous les métiers.

Mais puisque je suis là pour le faire, je vais le faire...

Et si demain un messager crasseux dévale du fonds des montagnes pour m'annoncer qu'il n'est pas très sûr non plus de ma naissance, je le prierai tout simplement de s'en retourner d'où il vient et je ne m'en irai pas pour si peu regarder ta tante sous le nez et me mettre à confronter les dates.

Les rois ont autre chose à faire que du pathétique personnel, ma petite fille.

Jean Anouilh, Antigone, La Table Ronde. Quels motifs Créon trouve-t-il à la conduite d'Antigone ? Comment justifie-t-il sa propre position ? Vous paraît-il vraiment clairvoyant sur ces deux points ? INTRODUCTION Antigone ayant enfreint les ordres du roi Créon, tous deux s'affrontent dans une scène où il essaie de la sauver malgré elle.

Créon cherche une explication à son geste, mais Antigone lui affirme qu'elle ne croyait pas jouir de l'impunité, au contraire.

Dans cette longue réplique, Créon découvre la personnalité de sa nièce en même temps que l'opposition fondamentale de leurs attitudes face à la vie.

C'est à partir de cette opposition que se développe son argumentation, qui se veut à la fois une analyse et un plaidoyer. I.

LA CONDUITE D'ANTIGONE EXPLIQUÉE PAR CRÉON Aux yeux de Créon s'impose brusquement une évidence : c'est l'orgueil, hérité d'Œdipe, qui inspire la conduite d'Antigone.

Aux explications fausses qu'il exprimait succède la seule valable : à travers la désobéissance Antigone cherchait la mort.

A partir de ce moment Créon trouve dans l'histoire d'Œdipe la définition de l'attitude de sa fille. Mais la formule qu'il utilise révèle déjà sa propre position, elle est déjà un jugement.

Comment peut-on justifier cet orgueil ? Créon le fait dans cette phrase désinvolte : « L'humain vous gêne aux entournures dans la famille.

» C'est donc dans le refus d'assumer sa condition humaine que se situe l'orgueil, c'est cette attitude qu'il condamne d'emblée.

De cette quête de son propre destin, Créon n'envisage que l'aspect négatif.

Le refus des limites humaines peut s'exalter dans une recherche d'un bonheur parfait, mais l'impossibilité de le réaliser rejette l'individu dans la négativité absolue : la recherche du plus grand malheur possible, c'est-à-dire la mort.

Pour Créon il s'agit là d'une attitude profondément égoïste qui contient en soi le mépris du reste de l'humanité. Pourtant cette analyse ne nous paraît pas satisfaisante parce qu'elle est trop simpliste : le goût de la vérité ne s'accommode guère de la tiédeur et l'on peut considérer que c'est bien lui qui guide Antigone comme il a guidé Œdipe.

C'est pour avoir voulu connaître la vérité de sa naissance, donc de son existence, qu'Œdipe fut conduit à reconnaître son destin et son caractère inéluctable.

Nous ne sommes pas convaincus qu'il y ait ressenti une telle délectation et sa déchéance sociale peut être aussi le signe de sa plus grande clairvoyance. Cependant, il est vrai qu'Œdipe ne considère pas un instant sa responsabilité sociale, c'est-à-dire sa fonction royale.

Le destin qui le frappe et qu'il assume, est uniquement personnel.

En cela, l'analyse de Créon se révèle juste. II.

LA POSITION DE CRÉON L'élément le plus frappant de la seconde partie réside dans les premières phrases : «Ces temps...

sans histoire». Pour évoquer Œdipe, Créon faisait allusion à l'une de ses qualités : l'orgueil.

Parlant de lui-même, au contraire, il se définit non en tant, que personne, mais dans sa fonction : je suis l'homme dont Thèbes a besoin.

Ses qualités personnelles ne le définissent pas, il est tout entier dans son rôle politique.

Ce n'est que dans un deuxième temps qu'il évoque sa propre personnalité ; encore le fait-il en considérant toujours son utilité sociale : se présentant comme l'homme politique, il se caricature légèrement pour mieux opposer son sens pratique à la quête spirituelle d'Œdipe.

Cependant cette ironie ne s'adresse pas qu'à lui-même, car en affirmant qu'il veut s'« employer tout simplement à rendre l'ordre de ce monde un peu moins absurde », il devient plus intéressant que ce personnage bouleversé par «un messager crasseux».

La dernière phrase de ce passage condense bien sa position : « Les rois ont autre chose à faire que du pathétique personnel, ma petite fille ».

Il affirme ainsi son refus d'une recherche personnelle, qualifiée de pathétique, au nom de sa responsabilité et des devoirs qu'il doit remplir pour le bonheur des hommes.

Il plaide ainsi la cause d'un certain prosaïsme bienveillant contre celle d'une recherche égoïste.

Car son rôle. »

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