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Jean Anouilh, Antigone, (1944).

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Jean Anouilh, Antigone, (1944). CRÉON, sourdement. - Eh bien, oui, j'ai peur d'être obligé de te faire tuer si tu t'obstines. Et je ne le voudrais pas. ANTIGONE - Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas! Vous n'auriez pas voulu non plus, peut-être, refuser une tombe à mon frère ? Dites-le donc, que vous ne l'auriez pas voulu ? CRÉON - Je te lai dit. ANTIGONE - Et vous lavez fait tout de même. Et maintenant, vous allez me faire tuer sans le vouloir. Et c'est cela, être roi ! CRÉON - Oui, c'est cela ! ANTIGONE - Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont fait aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine. CRÉON - Alors, aie pitié de moi, vis. Le cadavre de ton frère qui pourrit sous mes fenêtres, c'est assez payé pour que l'ordre règne dans Thèbes. Mon fils t'aime. Ne m'oblige pas à payer avec toi encore. J'ai assez payé. ANTIGONE - Non. Vous avez dit « oui ». Vous ne vous arrêterez jamais de payer maintenant ! CRÉON, la secoue soudain, hors de lui. - Mais, bon Dieu ! Essaie de comprendre une minute, toi aussi, petite idiote ! J'ai bien essayé de te comprendre, moi. Il faut pourtant qu'il y en ait qui disent oui. Il faut pourtant qu'il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l'eau de toutes parts, c'est plein de crimes, de bêtise, de misère... Et le gouvernail est là qui ballotte. L'équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu'à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d'eau douce, pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer, et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce quelles ne pensent qu'à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu, alors, qu'on a le temps de faire le raffiné, de savoir s'il faut dire « oui » ou « non », de se demander s'il ne faudra pas payer trop cher un jour, et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d'eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s'avance. Dans le tas ! Cela n'a pas de nom. C'est comme la vague qui vient de s'abattre sur le pont devant vous; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe devant le groupe n'a pas de nom. C'était peut-être celui qui t'avait donné du feu en souriant la veille. Il n'a plus de nom. Et toi non plus tu n'as plus de nom, cramponné à la barre. Il n'y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu le comprends, cela ?

« Sujet: Jean Anouilh, Antigone, (1944) « CRÉON, sourdement.

- Eh bien, oui, j'ai peur d'être obligé de te faire tuer si tu t'obstines.

Et je ne le voudrais pas. ANTIGONE - Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas! Vous n'auriez pas voulu non plus, peut-être, refuser une tombe à mon frère ? Dites-le donc, que vous ne l'auriez pas voulu ? CRÉON - Je te l’ai dit. ANTIGONE - Et vous l’avez fait tout de même.

Et maintenant, vous allez me faire tuer sans le vouloir.

Et c'est cela, être roi ! CRÉON - Oui, c'est cela ! ANTIGONE - Pauvre Créon ! Avec mes ongles cassés et pleins de terre et les bleus que tes gardes m'ont fait aux bras, avec ma peur qui me tord le ventre, moi je suis reine. CRÉON - Alors, aie pitié de moi, vis.

Le cadavre de ton frère qui pourrit sous mes fenêtres, c'est assez payé pour que l'ordre règne dans Thèbes.

Mon fils t'aime.

Ne m'oblige pas à payer avec toi encore.

J'ai assez payé. ANTIGONE - Non.

Vous avez dit « oui ».

Vous ne vous arrêterez jamais de payer maintenant ! CRÉON, la secoue soudain, hors de lui.

- Mais, bon Dieu ! Essaie de comprendre une minute, toi aussi, petite idiote ! J'ai bien essayé de te comprendre, moi.

Il faut pourtant qu'il y en ait qui disent oui.

Il faut pourtant qu'il y en ait qui mènent la barque.

Cela prend l'eau de toutes parts, c'est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballotte.

L'équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu'à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d'eau douce, pour tirer au moins leurs os de là.

Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer, et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce quelles ne pensent qu'à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires.

Crois-tu, alors, qu'on a le temps de faire le raffiné, de savoir s'il faut dire « oui » ou « non », de se demander s'il ne faudra pas payer trop cher un jour, et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d'eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s'avance.

Dans le tas ! Cela n'a pas de nom.

C'est comme la vague qui vient de s'abattre sur le pont devant vous; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe devant le groupe n'a pas de nom.

C'était peut-être celui qui t'avait donné du feu en souriant la veille.

Il n'a plus de nom.

Et toi non plus tu n'as plus de nom, cramponné à la barre.

Il n'y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu le comprends, cela ? » · Rappel « Créon et Antigone sont seuls l’un en face de l’autre ».Ce passage se trouve pratiquement au centre du drame composé par Anouilh.

Il s’agit d’une scène principale où chacun des personnages tentent de raisonner l’autre. · Introduction 1. Situation et idée directrice Créon, roi de Thèbes, va devoir mettre à mort sa nièce Antigone parce qu'elle veut enfreindre la loi en enterrant son frère Polynice, traître à l'État.

Créon, après avoir tenté de la dissuader, lui justifie sa décision par les contraintes du métier de roi.

Cette tentative de dissuasion est motivée par un enjeu multiple.

Certes, Créon cherche à épargner Antigone, mais il désire également s’assurer une descendance et surtout maintenir la paix à Thèbes. 2. Hypothèse de lecture Au cours de la lecture qui précède cet extrait, le lecteur peut percevoir que l’intention de Créon est légitime : il souhaite protéger sa nièce contre les autres (par exemple : les soldats qui surveillent le corps en putréfaction de Polynice) et aussi contre elle-même.

Il la questionne notamment (près de trois fois) afin de savoir s’il peut encore la sauver et constater si une tierce personne est au courant de son dessein.

Il va jusqu’à braver les interdits, oublier son devoir de roi en désirant mettre à mort les soldats qui l’ont vue et en obligeant sa nièce à mentir.

Or tout porte à croire que c’est peine perdue.

Antigone est une irréductible, un esprit entier et libre qui veillera à sauver l’âme de son frère au prix du sacrifice de sa propre vie.

À travers le personnage d’Antigone, Anouilh questionne ici les limites du pouvoir : avoir le droit de vie ou de mort « Et c'est cela, être roi ! » s’exclame Antigone.

De plus, il y a une remise en question de la notion de liberté.

Antigone est l’incarnation de la liberté, du courage, elle vit ses choix, alors que Créon est quant à lui tenu de respecter ses lois. Ainsi il est intéressant de mettre en lumière l’effet que Créon veut produire sur Antigone grâce au recours d’une métaphore filée, au plutôt d’une allégorie.

Parvient-il à diffuser un enseignement moral à travers son discours ? Parvient-il à persuader son auditoire? · Développement I/Une scène caractéristique d’un affrontement à visée morale : Depuis le début de leur face à face, tous les éléments sont réunis pour que les arguments de Créon affrontent et persuadent ceux d’Antigone.

Si au départ, la jeune femme se contentait de répondre simplement et brièvement aux répliques du roi, elle en arrive désormais à questionner la propre logique de Créon et à remettre en question la valeur du pouvoir, ainsi que nous pouvons le constater : « ANTIGONE - Moi, je ne suis pas obligée de faire ce que je ne voudrais pas! Vous n'auriez pas voulu non plus, peut-être, refuser une tombe à mon frère ? Dites-le donc, que vous ne l'auriez pas voulu ?. »

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