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Andrée Chedid - Lettres à la jeunesse

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Andrée Chedid - Lettres à la jeunesse C'est beau la jeunesse, en marche vers ses larges horizons ! Au seuil de sa vie, qu'espérer, en quoi croire ? D'abord, me semble-t-il, en cette vie même, ce don qui nous est offert par un enchaînement de hasards, cette brève éclaircie dans la nuit des temps. Pour mieux savourer le fait d'exister, cette notion de "brièveté" me paraît importante. Ensuite : choisir, savoir choisir ce qui tient au cœur, ce qui est vissé à l'âme ; ce qui s'implante et s'enracine dans l'esprit. Etre lucide dans ce choix ; les chemins sont semés d'embûches et de barrières qu'il faut s'apprêter à enjamber, à franchir. Dans sa lettre à un jeune poète, Rainer Maria Rilke écrit quelques phrases essentielles, inscrites dans ma chair et que je ne pourrai jamais oublier. "Vous vous demandez si vos vers sont bons. Vous me le demandez à moi. Vous l'avez déjà demandé à d'autres. Vous les envoyez aux revues… Désormais (puisque vous m'avez permis de vous conseiller) je vous prie de renoncer à tout cela… Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne. Il n'est qu'un seul chemin. Entrez en vous-même, cherchez le besoin qui vous fait écrire : examinez s'il pousse des racines au plus profond de votre cœur… Mourriez-vous s'il vous était défendu d'écrire …. Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort simple "je dois". Alors construisez votre vie selon cette nécessité." Ce choix n'exclura pas les grandes causes humaines, dont on demeure forcément à l'écoute. Il ne s'agit pas de moraliser, ou de se poser comme donneur de leçons. Rilke confie à chacun ses propres rêves, sa propre direction, ses propres responsabilités. Choix, indépendance, liberté font partie de ce questionnement, ils en sont même les clefs. S'amarrer à cette passion est un guide. Il faut une fidélité, un indéfectible amour. S'arrimer à un art n'est jamais de tout repos, mais les brèches que celui-ci nous offre sur des instants de lumière valent bien le risque de ces chemins imprévus. Ces fenêtres qu'il entrouvre sur l'espace du dehors et du dedans méritent qu'on y dédie toute une part de son existence. J'ai souvent pris appui sur ces paroles de Rainer Maria Rilke. Quel que soit le chemin, bref ou long, il nous faut sans cesse solliciter, éveiller cette soif aux racines de l'être ; cet indicible, cet inextinguible désir qui nous entraîne vers l'avant. Qu'importe le chemin choisi : "Je dois" continuera à retentir comme en écho dans nos cœurs et nos esprits.

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