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André Malraux, La Condition humaine - 21 mars 1927 - Minuit et demi.

Extrait du document

Tchen tenterait-il de lever la moustiquaire ? Frapperait-il au travers ? L'angoisse lui tordait l'estomac ; il connaissait sa propre fermeté, mais n'était capable en cet instant que d'y songer avec hébétude, fasciné par ce tas de mousseline blanche qui tombait du plafond sur un corps moins visible qu'une ombre, et d'où sortait seulement ce pied à demi incliné par le sommeil, vivant quand même — de la chair d'homme. La seule lumière venait du building voisin : un grand rectangle d'électricité pâle, coupé par les barreaux de la fenêtre dont l'un rayait le lit juste au-dessous du pied comme pour en accentuer le volume et la vie. Quatre ou cinq klaxons grincèrent à la fois. Découvert ? Combattre, combattre des ennemis qui se défendent, des ennemis éveillés !

La vague du vacarme retomba : quelques embarras de voitures (il y avait encore des embarras de voitures, là-bas, dans le monde des hommes...). Il se retrouva en face de la tache molle de la mousseline et du rectangle de lumière, immobiles dans cette nuit où le temps n'existait plus.

Il se répétait que cet homme devait mourir. Bêtement : car il savait qu'il le tuerait. Pris ou non, exécuté ou non, peu importait. Rien n'existait que ce pied, cet homme qu'il devait frapper sans qu'il se défendît, — car, s'il se défendait, il appellerait.

Les paupières battantes, Tchen découvrait en lui, jusqu'à la nausée, non le combattant qu'il attendait, mais un sacrificateur. Et pas seulement aux dieux qu'il avait choisis : sous son sacrifice à la révolution grouillait un monde de profondeurs auprès de quoi cette nuit écrasée d'angoisse n'était que clarté. « Assassiner n'est pas seulement tuer... »

André Malraux, La Condition humaine, Gallimard.

Dans quelle mesure cette page qui figure au début La Condition humaine vous paraît-elle fournir les éléments d'une exposition romanesque ? Pouvez-vous définir son originalité par rapport à une exposition traditionnelle ?

INTRODUCTION

Les premières pages d'un roman traditionnel sont d'ordinaire consacrées à l'exposition. Pour intéresser d'emblée son lecteur, l'auteur s'y applique à nous retracer le cadre où vivent ses personnages, leur psychologie et leurs antécédents, la situation à laquelle ils doivent faire face et déjà il nous laisse entrevoir certains événements qui vont peut-être se produire. Malraux, au contraire, de toute évidence, au début de la Condition humaine, ne s'est pas soucié de bâtir méthodiquement ce type d'exposition. Pouvons-nous néanmoins découvrir dans le détail du texte les éléments nécessaires à introduire ses lecteurs dans l'atmosphère de son roman ?

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