André Malraux
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André Malraux
Quand André Malraux naît à Paris, la France s'essuie de l'Affaire Dreyfus et entre allégrement dans cette "belle époque" qu'interrompra
seulement le coup de revolver de Sarajevo.
Mais si belle soit-elle, une belle époque n'est pas belle pour tout le monde.
La jeunesse
d'André Malraux, marquée par des deuils tragiques, n'a guère subi le charme de la frivolité de son temps.
C'est dans l'ébrouement de l'adolescence que l'enfant annonce l'homme qu'il sera : encore faut-il que le climat de l'adolescence...
André
Malraux a quinze ans en 1916, en plein milieu de la Première Guerre mondiale.
On s'explique donc aisément que la mort plane sur lui,
sur son oeuvre.
Avant de venir à ce qui la constitue principalement, il faut noter la publication de deux livres, où l'auteur semble esquiver ce qu'il a à dire :
Lunes en papier (1921) et Royaume farfelu (1928).
Ici, il s'agit d'une concession à son époque, ou, plus exactement, de la contagion
d'une époque, qui se voulait encore frivole, sur un écrivain qui hésitait à annoncer ce qu'il avait à dire.
Pourtant, dès 1916, dans un texte qui passe inaperçu, le prophète de notre temps que deviendra Malraux émerge.
"Des hommes veulent se délivrer de leur civilisation, comme d'autres voulurent se délivrer du divin.
En face de ses dieux morts, l'occident
tout entier ayant épuisé la joie de son triomphe se prépare à vaincre ses propres énigmes (...).
Quelle notion de l'homme saura tirer de
son angoisse la civilisation de la solitude ?"
Malraux a vingt-cinq ans quand il écrit cette phrase dont l'écho court à travers toute son oeuvre.
Comme Valéry, il sait que les civilisations
sont mortelles.
Il sait aussi, dans ce qu'il a en lui de plus profondément sensible, que l'homme est mortel.
("Seule la mort transforme la
vie en destin écrira-t-il plus tard.) Ses romans : les Conquérants (1928), la Voie royale (1930), la Condition humaine (1933), le Temps du
Mépris (1935), l'espoir (1937), la Lutte avec l'Ange (1943), ne sont qu'une longue méditation sur la précarité de la "civilisation de la
solitude" qu'il évoquait dans son premier écrit.
Ces romans placent toujours des hommes issus de cette civilisation aux prises avec les
tentations spirituelles d'une nouvelle civilisation.
Quatre de ces livres sur six ont pour cadre une lutte contre le fascisme : les Conquérants,
la Condition humaine, le Temps du Mépris, l'espoir.
Mais ce cadre est aussi un trompe-l'oeil : c'est par rapport à certain type d'hommes
de demain que les héros privilégiés de Malraux se définissent.
Le fascisme ne constitue jamais une tentation.
Il est le mal.
Il se combat,
les armes à la main.
La tentation, c'est, dans ce combat, celle de l'efficacité, et du système qui se profile derrière l'érection en valeur de
cette efficacité.
"Le gain que vous apporterait la libération économique, qui me dit qu'il sera plus grand que les pertes apportées par la société nouvelle,
menacée de toutes parts, obligée par son angoisse à la contrainte, à la violence, et peut-être à la délation ? La servitude économique est
lourde, mais si, pour la détruire, on est obligé de renforcer la servitude politique ou militaire ou religieuse, alors que m'importe ?"
Il est significatif de la "liberté" de Malraux que ce texte, extrait de l'Espoir, soit contemporain de l'époque où Malraux semblait le plus
engagé du côté de la révolution, le plus proche des communistes.
L'autre tentation qui s'exerce dans le combat entre le fascisme est celle de la confusion de la fraternité des armes et de la fraternité tout
court.
Les héros de Malraux sont comme égarés au milieu de militants.
Cette tentation, Malraux l'énonce clairement : "Les hommes unis à
la fois par l'espoir et par l'action accèdent, comme les hommes unis par l'amour, à des domaines auxquels ils n'accéderont pas seuls."
(L'Espoir.) Mais il exprime aussi clairement la distance qu'il prend à son égard : "Je n'aime même pas les pauvres gens, ceux, en somme,
pour qui je vais combattre.
Je les préfère, mais uniquement parce qu'ils sont les vaincus." (Les Conquérants.) Alors, pourquoi combattre ?
Sans doute, "parce qu'il y a au fond de moi de vieilles rancunes qui ne m'ont pas peu poussé à me lier à la révolution".
Cernés par les militants, déterminés comme eux par les exigences de l'action, les personnages de Malraux s'arc-boutent pour attester
que l'essentiel de l'homme n'est pas concerné par ses combats douteux :
"Je veux avoir des rapports avec un homme pour sa nature et non pour ses idées.
Je veux la fidélité dans l'amitié et non l'amitié
suspendue à une attitude politique.
Je veux qu'un homme soit responsable devant lui-même et non devant une cause, fût-elle celle des
opprimés." (L'Espoir.)
On s'est assez étonné que ce révolutionnaire devînt ministre d'un gouvernement "bourgeois" pour qu'il puisse paraître nécessaire
d'apporter une précision.
André Malraux n'a jamais été un doctrinaire politique.
Au meilleur sens du terme, il est un pragmatiste.
Dans
l'entre-deux-guerres, le fascisme était menaçant, conquérant même, il s'étendait progressivement, cernant la France.
Face à lui, ou à côté
de lui, les complaisances maurassiennes.
Pour s'opposer à ce qui était la plus grande menace spirituelle et matérielle de notre temps, il
n'y avait que la révolution des révolutionnaires.
Que ces révolutionnaires fussent alors contraints à la défensive n'était pas pour gêner
Malraux, au contraire : à côté d'eux, distant de leurs rêves, il menait le combat d'arrière-garde contre le fascisme.
A partir de 1945, les
choses sont inversées : "Il ne s'agit pas de comprendre le monde disait Marx mais de le transformer."
Nous appartenons aujourd'hui à la première génération qui ait, comme mission essentielle, non de transformer le monde, mais de le
conserver.
Aujourd'hui, la menace est celle d'une destruction apocalyptique après avoir été, pendant un certain moment, celle d'une
conquête stalinienne.
Puisque cette tâche est réelle, il est normal que Malraux en assume sa part.
Il est normal qu'il soit ministre.
Et que,
ministre, il soit chargé de la culture.
La singularité de "l'écrivain" André Malraux est d'avoir évoqué des problèmes quasi métaphysiques dans le contexte politique de notre
temps.
Il a introduit l'épopée dans la Littérature française.
Malraux savait donc les civilisations mortelles, les hommes mortels.
Mais, et cette contradiction est une des manifestations de son génie,
il sait aussi l'immortalité des unes et des autres.
L'oeuvre d'art est le signe visible de cette pérennité.
Ce signe, il lui fallait le déchiffrer :
c'est à quoi il s'est appliqué dans les Voix du Silence (1951) et dans la Métamorphose des Dieux (1957).
Mais qu'il s'agisse de la confrontation de l'homme avec son action précaire la politique ou avec son oeuvre éternelle l'art Malraux semble
toujours tendre à "donner conscience aux hommes de la grandeur qu'ils ignorent en eux"..
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