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Victor Hugo : Ruy Blas (1838), acte II, scène 2.

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Victor Hugo : Ruy Blas (1838), acte II, scène 2. [La reine d'Espagne, dont le mari passe de longues journées à la chasse, est seule, inquiète de la haine que lui porte Don Salluste, un noble qu'elle a écarté de la Cour, et émue par les billets que lui dépose chaque soir un inconnu, Ruy Blas.] LA REINE : [...] Qui que tu sois, ô jeune homme inconnu Toi qui, me voyant seule et loin de ce qui m'aime, Sans rien me demander, sans rien espérer même, Viens à moi, sans compter les périls où tu cours; Toi qui verses ton sang, toi qui risques tes jours Pour donner une fleur à la reine d'Espagne; Qui que tu sois, ami dont l'ombre m'accompagne, Puisque mon coeur subit une inflexible loi, Sois aimé par ta mère et sois béni par moi ! (Vivement et portant la main à son coeur.) — Oh ! Sa lettre me brûle ! Retombant dans sa rêverie. Et l'autre ! L'implacable Don Salluste ! Le sort me protège et m'accable. En même temps qu'un ange, un spectre affreux me suit; — Et, sans les voir, je sens s'agiter dans ma nuit, Pour m'amener peut-être à quelque instant suprême, Un homme qui me hait près d'un homme qui m'aime. L'un me sauvera-t-il de l'autre ? Je ne sais. Hélas ! Mon destin flotte à deux vents opposés. Que c'est faible, une reine, et que c'est peu de chose ! Prions. (Elle s'agenouille devant la madone.) - Secourez-moi, madame ! Car je n'ose Élever mon regard jusqu'à vous ! (Elle s'interrompt.) - Ô mon Dieu ! La dentelle, la fleur, la lettre, c'est du feu ! (Elle met la main dans sa poitrine et en arrache une lettre froissée, un bouquet desséché de petites fleurs bleues et un morceau de dentelle taché de sang qu'elle jette sur la table; puis elle retombe à genoux.) Vierge, astre de la mer ! Vierge, espoir du martyre ! — Aidez-moi ! - (S'interrompant.) Cette lettre ! (Se tournant à demi vers la table.) Elle est là qui m'attire. (S'agenouillant de nouveau.) Je ne veux plus la lire ! - ô reine de douceur ! Vous qu'à tout affligé Jésus donne pour soeur ! Venez, je vous appelle ! - (Elle se lève, fait quelques pas vers la table, puis s'arrête, puis enfin se précipite sur la lettre, comme cédant à une attraction irrésistible.) Oui, je vais la relire Une dernière fois ! Après, je la déchire ! (Avec un sourire triste.) Hélas ! Depuis un mois je dis toujours cela. (Elle déplie la lettre résolument et lit). « Madame, sous vos pieds, dans l'ombre, un homme est là « Qui vous aime, perdu dans la nuit qui le voile; « Qui souffre, ver de terre amoureux d'une étoile; « Qui pour vous donnera son âme, s'il le faut; — « Et qui se meurt en bas quand vous brillez en haut.» (Elle pose la lettre sur la table.) Quand l'âme a soif, il faut qu'elle se désaltère, Fût-ce dans du poison ! (Elle remet la lettre et la dentelle dans sa poitrine.) Je n'ai rien sur la terre. Mais enfin il faut bien que j'aime quelqu'un, moi ! Oh ! s'il avait voulu, j'aurais aimé le roi. Mais il me laisse ainsi - seule - d'amour privée. (La grande porte s'ouvre à deux battants. Entre un huissier de chambre, en grand costume.) L'HUISSIER, à haute voix — Une lettre du roi ! LA REINE, comme réveillée en sursaut, avec un cri de joie. Du roi ! je suis sauvée ! [L'huissier apporte un bref billet que le roi a dicté pour son épouse à Ruy Blas, dans lequel il dit qu'il a tué six loups : déception cruelle de la reine, qui espérait un mot de tendresse.]

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