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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les quatre vents de l'esprit) - L'échafaud

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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les quatre vents de l'esprit) - L'échafaud - Oeil pour oeil ! Dent pour dent ! Tête pour tête ! A mort ! Justice ! L'échafaud vaut mieux que le remord. Talion ! talion ! - Silence aux cris sauvages ! Non ! assez de malheur, de meurtre et de ravages ! Assez d'égorgements ! assez de deuil ! assez De fantômes sans tête et d'affreux trépassés ! Assez de visions funèbres dans la brume ! Assez de doigts hideux ; montrant le sang qui fume, Noirs, et comptant les trous des linceuls dans la nuit ! Pas de suppliciés dont le cri nous poursuit ! Pas de spectres jetant leur ombre sur nos têtes ! Nous sommes ruisselants de toutes les tempêtes ; Il n'est plus qu'un devoir et qu'une vérité, C'est, après tant d'angoisse et de calamité, Homme, d'ouvrir son coeur, oiseau, d'ouvrir son aile Vers ce ciel que remplit la grande âme éternelle ! Le peuple, que les rois broyaient sous leurs talons, Est la pierre promise au temple, et nous voulons Que la pierre bâtisse et non qu'elle lapide ! Pas de sang ! pas de mort ! C'est un reflux stupide Que la férocité sur la férocité. Un pilier d'échafaud soutient mal la cité. Tu veux faire mourir ! Moi je veux faire naître ! Je mure le sépulcre et j'ouvre la fenêtre. Dieu n'a pas fait le sang, à l'amour réservé, Pour qu'on le donne à boire aux fentes du pavé. S'agit-il d'égorger ? Peuples, il s'agit d'être. Quoi ! tu veux te venger, passant ? de qui ? du maître ? Si tu ne vaux pas mieux, que viens-tu faire ici ? Tout mystère où l'on jette un meurtre est obscurci ; L'énigme ensanglantée est plus âpre à résoudre ; L'ombre s'ouvre terrible après le coup de foudre ; Tuer n'est pas créer, et l'on se tromperait Si fon croyait que tout finit au couperet ; C'est là qu'inattendue, impénétrable, immense, Pleine d'éclairs subits, la question commence ; C'est du bien et du mal ; mais le mal est plus grand. Satan rit à travers l'échafaud transparent. Le bourreau, quel qu'il soit, a le pied dans l'abîme ; Quoi qu'elle fasse, hélas ! la hache fait un crime ; Une lugubre nuit fume sur ce tranchant ; Quand il vient de tuer, comme, en s'en approchant, On frémit de le voir tout ruisselant, et comme On sent qu'il a frappé dans l'ombre plus qu'un homme ! Sitôt qu'a disparu le coupable immolé, Hors du panier tragique où la tête a roulé, Le principe innocent, divin, inviolable, Avec son regard d'astre à l'aurore semblable, Se dresse, spectre auguste, un cercle rouge au cou. L'homme est impitoyable, hélas, sans savoir où. Comment ne voit-il pas qu'il vit dans un problème, Que l'homme est solidaire avec ses monstres même, Et qu'il ne peut tuer autre chose qu'Abel ! Lorsqu'une tête tombe, on sent trembler le ciel. Décapitez Néron, cette hyène insensée, La vie universelle est dans Néron blessée ; Faites monter Tibère à l'échafaud demain, Tibère saignera le sang du genre humain. Nous sommes tous mêlés à ce que fait la Grève ; Quand un homme, en public, nous voyant comme un rêve, Meurt, implorant en vain nos lâches abandons, Ce meurtre est notre meurtre et nous en répondons ; C'est avec un morceau de notre insouciance, C'est avec un haillon de notre conscience, Avec notre âme à tous, que l'exécuteur las Essuie en s'en allant son hideux coutelas.

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