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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les contemplations) - J'ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline

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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les contemplations) - J'ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline J'ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline. Dans l'âpre escarpement qui sur le flot s'incline, Que l'aigle connaît seul et seul peut approcher, Paisible, elle croissait aux fentes du rocher. L'ombre baignait les flancs du morne promontoire ; Je voyais, comme on dresse au lieu d'une victoire Un grand arc de triomphe éclatant et vermeil, À l'endroit où s'était englouti le soleil, La sombre nuit bâtir un porche de nuées. Des voiles s'enfuyaient, au loin diminuées ; Quelques toits, s'éclairant au fond d'un entonnoir, Semblaient craindre de luire et de se laisser voir. J'ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée. Elle est pâle, et n'a pas de corolle embaumée, Sa racine n'a pris sur la crête des monts Que l'amère senteur des glauques goémons ; Moi, j'ai dit: Pauvre fleur, du haut de cette cime, Tu devais t'en aller dans cet immense abîme Où l'algue et le nuage et les voiles s'en vont. Va mourir sur un coeur, abîme plus profond. Fane-toi sur ce sein en qui palpite un monde. Le ciel, qui te créa pour t'effeuiller dans l'onde, Te fit pour l'océan, je te donne à l'amour. - Le vent mêlait les flots; il ne restait du jour Qu'une vague lueur, lentement effacée. Oh! comme j'étais triste au fond de ma pensée Tandis que je songeais, et que le gouffre noir M'entrait dans l'âme avec tous les frissons du soir !

« Points de repère De quel genre de poème s'agit-il? Ici d'un poème narratif et descriptif qui a un sujet, une « construction » qui semble lisible (l'ombre envahit progressivement le paysage et le texte s'achève quand la nuit est tombée), enfin une destination précise : il a été écrit pour une femme.

Par opposition à la poésie pure, à la poésie incantatoire, à la poésie qui mêle les images sans chercher à représenter quelque chose, cette poésie repose sur un scénario et semble « raconter une histoire ».

En apparence donc, le texte rend compte de quelque chose qui est arrivé, qui a été réel et que l'écriture peut « traduire ».

Le travail du commentaire sera de chercher si cette impression de réalité n'est pas, d'une manière ou d'une autre, transformée par l'écriture.

Y a-t-il un non-dit dans ce texte «clair»? Le sujet : tradition et nouveauté Première difficulté : trouver un point de départ.

Il n'y a pas de titre, et mieux vaut ne pas reprendre les quelques lignes qui introduisent le texte.

On peut essayer de placer ce poème à l'intérieur d'un ensemble.

La démarche n'est pas gratuite, puisqu'elle fait aussitôt apparaître : — que le « sujet » est un lieu commun de la poésie française.

Sujet noble (Ronsard : « Je vous envoie ce bouquet que ma main...

»), devenu familier (une chanson rétro : « Pour vous obliger à penser à moi/Y penser toujours, y penser encore/Voici quelques fleurs, bien modeste envoi/De bien humbles fleurs qui viennent d'éclore »).

En général, le don des fleurs s'accompagne d'un message : déclaration d'amour, invitation, rappel de souvenirs...

II n'y a donc aucune invention au niveau du sujet. — que ce lieu commun est transformé radicalement dans le poème : a) Par le choix du cadre : on n'est ni dans le jardin de Ronsard ni dans l'univers mondain de la chanson, mais dans un paysage marin, sauvage (âpre escarpement, fentes du rocher, morne promontoire) \ le paysage du Nord, différent des rivages méditerranéens ou des doux paysages de Touraine ou de l'Ile-de-France. 1.

Dans la rédaction complète il faudrait reprendre tous les détails descriptifs qui sont dans le texte. b) Par la signification : au lieu d'illustrer un motif épicurien (invitation à la joie et à l'amour) ou un thème humaniste (l'amour plus fort que la mort), le poème vire d'une curieuse manière : à la relation banale fleur/ femme, le texte mêle un troisième élément, la nature sauvage à la tombée du jour.

Le «je» solitaire qui songe à la femme (absente) et cueille pour elle une fleur (sans couleur et sans parfum; une fleur déjà morte?) est soudain saisi d'une angoisse qui semble venir de la nuit et de l'hostilité de la mer (tous les signes du paysage sont vus négativement : le porche de nuées remplace l'arc de triomphe, la vallée est un entonnoir, etc.).

Mais cette angoisse (« l'angoisse que ce même monde lui communique »), au lieu d'être sans racine et métaphysique, est politique : la solitude du Je n'est pas n'importe quelle solitude, elle s'appelle un exil et le regard qui se tourne vers la mer est celui du proscrit qui croit ne plus revoir la France. Le mot d'exil n'a pas besoin d'être mentionné : il suffit que le texte ait organisé autrement les thèmes habituels pour qu'un sens nouveau apparaisse et soit lisible. De ce premier groupe de remarques on peut tirer soit une introduction (plus brève évidemment que l'ensemble), soit une première partie, complétée par l'étude de deux autres thèmes.

Nous proposons de s'arrêter : — sur le thème de l'amour — sur le thème de l'angoisse en suivant le mouvement du texte.

Ce n'est ni obligatoire, ni toujours souhaitable.

La justification ici : la longueur (exceptionnelle) du poème. La présence de l'amour Le poème n'est pas dédié à une femme précise (absence de nom), ce qui peut renforcer paradoxalement son caractère personnel (inutile de nommer la femme aimée, elle est la seule, etc.).

La femme, d'autre part, n'a ici aucune présence physique, en dehors des deux mots : sein et cœur, qui se doublent l'un l'autre, et qui d'ailleurs sont des clichés, des mots vides.

Alors qu'elle est la dédicataire, elle n'occupe qu'une place très réduite dans l'ensemble («pour toi, ma bien-aimée ») ; autre preuve que l'amour n'est pas le vrai sujet du poème, malgré son apparent triomphe à trois reprises : — le fleur a été cueillie juste après que s'est englouti le soleil et avant qu'elle n'ait elle-même disparu dans la nuit, dans un geste de conjuration contre la nuit et la mort; — cueillie et offerte, elle échappe au mécanisme de la nature, promise à l'océan, elle s'humanise sur le sein de la femme; elle est arrachée à un infini (l'abîme) pour être donnée à un autre (l'abîme du cœur), mieux connu et plus rassurant; — enfin elle encadre le texte : J'ai cueilli cette fleur pour toi J'ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée^ et c'est par deux fois l'amour qui semble relancer le texte. Mais le poème ne s'achève pas au vers 23 (« je te donne à l'amour »). L'angoisse n'est pas vaincue, l'amour se perd dans le noir et le froid du soir : les éléments négatifs dominent, l'amour n'a pas vaincu la peur. L'angoisse C'est elle qui sous-tend l'ensemble : a) le monde entier est vu comme une somme de choses qui disparaissent dans la nuit/la mort : — le soleil — les voiles — les toits des hommes en train de s'éteindre au fur et à mesure que le couchant s'obscurcit, ou qui sont trop fragiles pour résister au vent et au froid : — la fleur — les nuages — les algues — les voiles (vers 19) b) le temps du poème est rythmé par la montée de la nuit, et du vent, et du froid (vers 5 : l'ombre; vers 9 : la sombre nuit; vers 24-25 : il ne restait du jour...; vers 27 : le gouffre noir), que ne vient pas équilibrer une égale montée de l'amour. c) enfin le monde du poème est très faiblement humanisé : les voiles (diminuées), les toits (craintifs) n'indiquent que vaguement la présence humaine.

Pour le reste, c'est un monde abrupt, sauvage, à la fois infini (l'homme est impuissant) et rétréci (l'homme est en prison, cf.

« entonnoir »), glauque, froid et gluant enfin (goémons, algues...). d) triomphe des forces de nuit et de mort, qui laissent le Je comme une épave sur le bord de la mer.

Même la présence de l'arc de triomphe — qui ne fête aucune victoire — est un signe négatif (avec un retour peut-être du thème politique).

Inversion du thème humaniste.

Mort du soleil. L'amour ne change pas le monde — L'illusion : par trois fois l'amour fait taire la nuit (1, 13, 17), mais c'est finalement l'amour qui se tait. — L'amour n'est pas donné comme futur vainqueur du temps et la fleur va mourir sur le cœur de la femme. — La vie est donnée à lire comme une lutte entre l'homme et « le ciel », la nature etc.

Il n'est pas sûr que la poésie soit le moyen de vaincre « le ciel ».

Le poème abandonne ici un thème reçu. En ce sens, la fleur fragile, cueillie sur la colline et offerte, c'est peut-être la fleur de mots, le poème, qui n'a pas de pouvoir sur le gouffre du soir... Mais pourquoi cette défaite de l'humanisme? A quoi exactement songe le «je »? Quel est le sens de ce soleil englouti? qu'est-ce qui obscurcit la nature et fait apparaître l'homme si fragile? Le thème optimiste de l'amour n'aurait de sens que lié à un optimisme politique : or le texte est écrit trois ans après le coup d'État, et en plein exil.

Le texte développe un thème pessimiste : les hommes vivent dans leurs maisons, les bateaux vont à la pêche, et se moquent bien de ce qui se passe là-bas en France.

D'où le double caractère dérisoire de la fleur et du poème, avec un seul signe positif (?) : la conscience inquiète du «je» qui veille.

A quoi songe-t-il? A Paris silencieux qui accepte l'Empire, et à « celle qui est restée en France » 2.. »

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