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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les chansons des rues et des bois) - Fuite en Sologne

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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les chansons des rues et des bois) - Fuite en Sologne Au poète Mérante I Ami, viens me rejoindre. Les bois sont innocents. Il est bon de voir poindre L'aube des paysans. Paris, morne et farouche, Pousse des hurlements Et se tord sous la douche Des noirs événements. Il revient, loi sinistre, Etrange état normal ! A l'ennui par le cuistre Et par le monstre au mal. II J'ai fui ; viens. C'est dans l'ombre Que nous nous réchauffons. J'habite un pays sombre Plein de rêves profonds. Les récits de grand-mère Et les signes de croix Ont mis une chimère Charmante, dans les bois. Ici, sous chaque porte, S'assied le fabliau, Nain du foyer qui porte Perruque in-folio. L'elfe dans les nymphées Fait tourner ses fuseaux ; Ici l'on a des fées Comme ailleurs des oiseaux. Le conte, aimé des chaumes, Trouve au bord des chemins, Parfois, un nid de gnomes Qu'il prend dans ses deux mains. Les follets sont des drôles Pétris d'ombre et d'azur Qui font aux creux des saules Un flamboiement obscur. Le faune aux doigts d'écorce Rapproche par moments Sous la table au pied torse Les genoux des amants. Le soir un lutin cogne Aux plafonds des manoirs ; Les étangs de Sologne Sont de pâles miroirs. Les nénuphars des berges Me regardent la nuit ; Les fleurs semblent des vierges ; L'âme des choses luit. III Cette bruyère est douce ; Ici le ciel est bleu, L'homme vit, le blé pousse Dans la bonté de Dieu. J'habite sous les chênes Frémissants et calmants ; L'air est tiède, et les plaines Sont des rayonnements. Je me suis fait un gîte D'arbres, sourds à nos pas ; Ce que le vent agite, L'homme ne l'émeut pas. Le matin, je sommeille Confusément encor. L'aube arrive vermeille Dans une gloire d'or. - Ami, dit la ramée, Il fait jour maintenant. - Une mouche enfermée M'éveille en bourdonnant. IV Viens, loin des catastrophes, Mêler sous nos berceaux Le frisson de tes strophes Au tremblement des eaux. Viens, l'étang solitaire Est un poème aussi. Les lacs ont le mystère, Nos coeurs ont le souci. Tout comme l'hirondelle, La stance quelquefois Aime à mouiller son aile Dans la mare des bois. C'est, la tête inondée Des pleurs de la forêt, Que souvent le spondée A Virgile apparaît. C'est des sources, des îles, Du hêtre et du glaïeul Que sort ce tas d'idylles Dont Tityre est l'aïeul. Segrais, chez Pan son hôte, Fit un livre serein Où la grenouille saute Du sonnet au quatrain. Pendant qu'en sa nacelle Racan chantait Babet, Du bec de la sarcelle Une rime tombait. Moi, ce serait ma joie D'errer dans la fraîcheur D'une églogue où l'on voie Fuir le martin-pêcheur. L'ode même, superbe, Jamais ne renia Toute cette grande herbe Où rit Titania. Ami, l'étang révèle Et mêle, brin à brin, Une flore nouvelle Au vieil alexandrin. Le style se retrempe Lorsque nous le plongeons Dans cette eau sombre où rampe Un esprit sous les joncs. Viens, pour peu que tu veuilles Voir croître dans ton vers La sphaigne aux larges feuilles Et les grands roseaux verts.

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