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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : L'art d'être grand-père) - Pepita

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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : L'art d'être grand-père) - Pepita Comme elle avait la résille, D'abord la rime hésita. Ce devait être Inésille... - Mais non, c'était Pepita. Seize ans. Belle et grande fille... - (Ici la rime insista : Rimeur, c'était Inésille. Rime, c'était Pepita.) Pepita... - Je me rappelle ! Oh ! le doux passé vainqueur, Tout le passé, pêle-mêle Revient à flots dans mon coeur ; Mer, ton flux roule et rapporte Les varechs et les galets. Mon père avait une escorte ; Nous habitions un palais ; Dans cette Espagne que j'aime, Au point du jour, au printemps, Quand je n'existais pas même, Pepita - j'avais huit ans - Me disait : - Fils, je me nomme Pepa ; mon père est marquis. - Moi, je me croyais un homme, Etant en pays conquis. Dans sa résille de soie Pepa mettait des doublons ; De la flamme et de la joie Sortaient de ses cheveux blonds. Tout cela, jupe de moire, Veste de toréador, Velours bleu, dentelle noire, Dansait dans un rayon d'or. Et c'était presque une femme Que Pepita mes amours. L'indolente avait mon âme Sous son coude de velours. Je palpitais dans sa chambre Comme un nid près du faucon, Elle avait un collier d'ambre, Un rosier sur son balcon. Tous les jours un vieux qui pleure Venait demander un sou ; Un dragon à la même heure Arrivait je ne sais d'où. Il piaffait sous la croisée, Tandis que le vieux râlait De sa vieille voix brisée : La charité, s'il vous plaît ! Et la belle au collier jaune, Se penchant sur son rosier, Faisait au pauvre l'aumône Pour la faire à l'officier. L'un plus fier, l'autre moins sombre, Ils partaient, le vieux hagard Emportant un sou dans l'ombre, Et le dragon un regard. J'étais près de la fenêtre, Tremblant, trop petit pour voir, Amoureux sans m'y connaître, Et bête sans le savoir. Elle disait avec charme : Marions-nous ! choisissant Pour amoureux le gendarme Et pour mari l'innocent. Je disais quelque sottise ; Pepa répondait : Plus bas ! M'éteignant comme on attise ; Et, pendant ces doux ébats, Les soldats buvaient des pintes Et jouaient au domino Dans les grandes chambres peintes Du palais Masserano.

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