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Stendhal, la Chartreuse de Parme

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Stendhal, la Chartreuse de Parme Il attacha sa corde enfin débrouillée à une couverture pratiquée dans le parapet pour l'écoulement des eaux, il monta sur ce même parapet et pria Dieu avec ferveur ; puis, comme un héros des temps de chevalerie, il pensa un instant à Clélia. Combien je suis différent, se dit-il, du Fabrice léger et libertin qui entra ici il y a neuf mois ! Enfin il se mit à descendre cette étonnante hauteur. Il agissait mécaniquement, dit-il, et comme il eût fait en plein jour, descendant devant des amis, pour gagner un pari. Vers le milieu de la hauteur, il sentit tout à coup ses bras perdre leur force ; il croit même qu'il lâcha la corde un instant ; mais bientôt, il la reprit ; peut-être, dit-il, il se retint aux broussailles sur lesquelles il glissait et qui l'écorchaient. Il éprouvait de temps à autre une douleur atroce entre les épaules, elle allait jusqu'à lui ôter la respiration. Il y avait un mouvement d'ondulation fort incommode, il était renvoyé sans cesse de la corde aux broussailles. Il fut touché par plusieurs oiseaux assez gros qu'il réveillait et qui se jetaient sur lui en s'envolant .Les premières fois il crut être atteint par des gens descendant de la citadelle par la même voie que lui pour le poursuivre ;et il s'apprêtait à se défendre. Enfin, il arriva au bas de la grosse tour sans autre inconvénient que d'avoir les mains en sang. Il raconte que depuis le milieu de la tour, le talus qu'elle forme lui fut fort utile ; il frottait le mur en descendant, et le plantes qui croissaient entre les pierres le retenaient beaucoup. En arrivant en bas dans le jardin des soldats il tomba sur un acacia qui, vu d'en haut, lui semblait avoir quatre ou cinq pieds de hauteur, et qui en avait réellement quinze ou vingt.. Un ivrogne qui se trouvait là endormi le prit pour un voleur. En tombant de cet arbre, Fabrice se démit presque le bras gauche. Il se mit à fuir vers le rempart, mais, à ce qu'il dit, ses jambes lui semblaient du coton. ; il n'avait plus aucune force. Malgré le péril, il s'assit et but un peu d'eau-de-vie qui lui restait. Il s'endormit quelques minutes au point de ne plus savoir où il était. En se réveillant, il ne put comprendre comment, se trouvant dans sa chambre, il voyait des arbres. Enfin, la terrible vérité revint à sa mémoire. Aussitôt, il marcha vers le rempart ; il y monta par le grand escalier. La sentinelle qui était placée tout près ronflait dans sa guérite. Il trouva une pièce de canon gisant dans l'herbe ; il y attacha sa troisième corde ; elle se trouva un peu trop courte, et il tomba dans un fossé bourbeux où il pouvait y avoir un pied d'eau. Pendant qu'il se relevait et cherchait à se reconnaître, il se sentit saisi par deux hommes : il eut peur un instant ; mais bientôt il entendit prononcer près de son oreille et à voix très basse Ah ! monsignore ! monsignore !Il comprit vaguement que ces hommes appartenaient à la duchesse ; aussitôt il s'évanouit profondément. Quelques temps après il sentit qu'il était porté par des hommes qui marchaient en silence et fort vite ; puis on s'arrêta, ce qui lui donna beaucoup d'inquiétude. Mais il n'avait la force ni de parler ni celle d'ouvrir les yeux ; il sentait qu'on le serrait ; tout à coup il reconnut le parfum des vêtements de la duchesse. Ce parfum le ranima ; il ouvrit les yeux ; il put prononcer les mots : Ah ! chère amie ! puis il s'évanouit de nouveau profondément.

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