« Si l'ordre est le plaisir de la raison, le désordre est le délice de l'imagination. » (Proust)
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«
Introduction :
Il est possible, pour commenter une phrase, de commencer par bien définir les termes du sujet, pour soulever les problèmes posés, et y
répondre un à un dans le développement :
- « L'ordre » : Le terme peut avoir plusieurs sens et se référer à un commandement, ou à une catégorie de personne, mais ici, il désigne
l'arrangement et la disposition régulière des choses, des êtres, ou des idées.
L'ordre est une disposition satisfaisante, rationnelle, qui
concerne tous les domaines.
- « Le désordre » : C'est l'inverse de l'ordre, il est souvent rapproché du chaos, de la confusion.
C'est l'absence d'harmonie et de mesure.
- « le plaisir de la raison » : le plaisir désigne une prise de conscience de la satisfaction d'une tendance, qu'elle soit physique ou morale,
ici, c'est une satisfaction de la raison.
Cela signifie que la satisfaction réside dans des éléments d'ordre intellectuels, spirituels, qui sont
prédominants par rapport aux éléments sensibles.
- « le délice de l'imagination » : c'est un plaisir qui ravit et transporte (Le Robert).
Il faut comprendre le mot « ravir » en son sens premier
d'enlèvement.
Le délice enlève l'esprit, le transporte.
- « Raison » : désigne la faculté qu'ont tous les hommes de pouvoir juger, connaître, distinguer le vrai du faux, de combiner les
jugements.
Elle s'oppose à la fois, car elle est permet une connaissance naturelle.
- « Imagination » : c'est la faculté d'élaborer des images à partir d'actes antérieurs de perception.
En général, on considère que ce que
construit l'imagination n'a aucun rapport avec le réel, elle est une sorte de faculté qui invente et crée à partir du réel tout en s'en éloignant
le plus possible.
Construction de la problématique :
La citation de Proust consiste en une analogie qui met en relation les termes « ordre » et « désordre », « plaisir » et délice », ainsi
que « raison » et « imagination ».
Contrairement à la traditionnelle dichotomie qui veut que l'ordre et le désordre soient contraire, que l'un
soit considéré comme bien et l'autre comme mauvais, Proust semble vouloir ici remettre les termes sur un pied d'égalité en leur donnant
à chacun une valeur propre, une spécificité.
è Il s'agit donc de voir ici si les termes d'ordre et de désordre peuvent effectivement être équivalents du point de vue de l'être, et
comment chacun d'eux se rattache soit à la raison soit à l'imagination, et pour quelles raisons.
Plan :
I/ L'ordre consubstantiel à la raison :
Si il est possible de parler d'un ordre la nature, d'une harmonie entre les espèces, il n'en reste pas moins que la stricte symétrie,
le strict arrangement des objets, et de ce fait l'ordre qui réside aux classements n'est pas naturel, mais proprement humain.
● C'est en effet ce qu'explique Bossuet dans La Connaissance de Dieu, I, VIII, lorsqu'il écrit « Le rapport l'ordre et de la raison est
extrême.
L'ordre ne peut être remis dans les choses que par la raison, ni être étendu que par elle.
Il est l'ami de la raison et son propre
objet.
» Kant développera cette idée plus tard dans La Critique de la Raison pure.
En effet, selon lui, la raison est la 3ème faculté de l'esprit,
et permet la connaissance.
Elle produit des concepts qui dépassent l'expérience et qui permettent de la classifier.
Autrement dit, la raison
ne perçoit le sensible qu'à travers des catégories qui constituent une sorte de grille permettant la préhension du réel.
● Kant explique en effet que le monde sensible est d'une telle diversité et d'une telle complexité, que la raison ne peut le saisir
sans y mettre de l'ordre, sans classer les objets qu'elle perçoit en catégorie.
Ainsi, l'ordre qui existe dans la nature n'est selon lui que
l'ordre que nous mettons nous-mêmes dans la nature grâce à notre raison.
L'ordre est ainsi consubstantiel à la raison, puisque pour cette
dernière, l'ordre est le seul moyen d'appréhender le monde.
Si Proust parle de plaisir de la raison à propos de l'ordre, c'est parce que la raison ne se retrouve que dans l'ordre, et que le
désordre lui fait éprouver non pas du plaisir, à savoir une satisfaction, mais l'effraie.
Et si c'est le terme de plaisir qui est utilisé et non pas
celui de délice, c'est parce que le plaisir est plus rationnel, il n'implique pas un transport, mais permet au contraire de garder une certaine
maîtrise de soi.
II/ Le désordre permet l'activité de l'imagination :
Dans un univers où tout est ordonné, il ne reste pas de place pour la fantaisie, tout suit un ordre prédéterminé, et rien ne peut
être modifié.
A l'inverse, le désordre, en laissant place à l'aléatoire, permet d'envisager la possibilité de l'existence d'autres possibilités.
● L'imagination n'a rien de commun avec la raison.
Si cette dernière cherche à saisir le réel, à s'approcher le plus pos sible de la
vérité, l'imagination quant à elle est productrice, elle crée, sans se soucier du réel.
Du fait de son caractère producteur, elle est une
puissance de divagation, et pourvoyeuse d'idées irrationnelles, elle ne donne aucun critères sûrs pour distinguer le vrai du faux.
Si le
désordre est le délice de l'imagination, c'est parce que l'imagination se satisfait du désordre où elle trouve matière à créer.
● Proust emploi le terme de « délice » parce que contrairement à « plaisir », il implique un transport, un ravissement au sens
premier.
Longtemps considérée comme trompeuse, l'écrivain réhabilite l'imagination, en soulignant son caractère créateur.
Bachelard la
qualifie comme étant une « fonction de l'irréel ».
Selon lui, l'imagination est une force qu'il faut travailler e ne as confondre avec la rêverie
somnolente ; elle est au contraire « développement d'être », c'est-à-dire créatrice et productrice de réel.
III/ L'ordre et le désordre ne sont pas opposés :
On a souvent opposé l'ordre et le désordre en disant que l'ordre était l'harmonie, régularité, et qu'à l'inverse, le désordre était le
chaos, le vide.
Or, Proust tente au contraire de mettre les deux termes sur un pied d'égalité, il cherche à montrer que ce sont deux
notions complémentaires qui désignent toutes deux un état du monde certes différents, mais équivalent.
● Ainsi, le désordre ne se définit pas uniquement de manière négative, il est lui aussi un certain « ordre » du monde, un certain
arrangement.
L'ordre et le désordre sont complémentaires.
Bergson dans L'Evolution Créatrice explique que l'ordre est obtenu par la
croyance selon laquelle « il y a des causes et des effets et que les mêmes effets suivent les mêmes causes ».
Or cet ordre implique un
isolement de variables qui fait de l'ordre des sciences un ordre superficiel.
Mais il ne faut pas non plus penser, comme le font les
philosophes, qu'il existe un désordre sous-jacent à l'ordre.
(critique de Kant pour qui la connaissance s'érige sur une violence faite au
désordre).
● Le désordre n'est donc pas le « subs trat » de l'ordre, il est au contraire autre type d'ordre, il suppose un ordre ailleurs qui n'est pas
constaté ou constatable.
Il est « l'ordre que nous ne cherchons pas » ; le désordre n'est donc pas une absence d'ordre, mais un ordre non
désiré.
Autrement dit, il est une autre espèce d'ordre, c'est-à-dire qu'il est tout aussi positif que le concept d'ordre.
Cependant si on le
considère de manière négative, c'est parce que nous le percevons comme une « déception » de l'esprit alors que « l'ordre » est vu comme
une « satisfaction ».
On parle en effet de désordre quand l'ordre trouvé ne correspond pas à nos attentes.
On réserve en revanche le
concept d'ordre quand l'ordre rencontré est l'ordre que l'on souhaitait effectivement rencontrer..
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