Roger de COLLERYE (1470-1536) - Complainte de l'infortuné et de regrets importuné
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                    Roger de COLLERYE (1470-1536)  - Complainte de l'infortuné et de regrets importuné Considérant le cours de vie humaine,  Mon simple état, train tel que et domaine,  Qu'il n'est besoin le mettre en inventaire,  N'enregistrer, mais trop mieux de le taire,  Certain je suis que des biens terriens  Après la mort n'emporte en terre rien  Le riche et plain, soit-il gras ou mesgret,  Fors un linceul. Posé qu'il soit esgret* Passer le pas, où le grand, le petit,  Comme je crois, n'y prend nul appétit,  Ce néanmoins, sans avoir ordonné,  Du Créateur a été ordonné  Qu'il nous convient tous mourir sans appel  Et de laisser en la terre la pel**.  Où l'âme va, je n'en saurais juger ;  A Dieu en est, non à autre, adjuger  Si Paradis la dite âme possède,  Car lui tout seul le permet et concède.  Et pour autant que écus, ducats à voir  Sont fort plaisants, il en fait bon avoir,  Pareillement revenus et offices,  Meubles foison, et aussi bénéfices,  Sans les avoir injustement acquis,  Et en user ainsi qu'il est requis,  Car à la fin il n'y a si ni qua,  Rendre il en faut le compte et reliqua. Trop mieux vaudrait se voir berger ès champs  Que d'être au rang et nombre des méchants,  Et mal mourir. Ô terreur merveilleuse !  Ô pauvre fin ! ô fin très périlleuse,  De ceux qui sont ainsi prédestinés  Vivre en péchés et en mal obstinés.  Hélas ! hélas ! qui bien y penserait Fier et hautain le pécheur ne serait. Nul, quel qu'il soit, n'a le ciel hérité,  Si par vertu il ne l'a mérité ;  Car par avant que le ciel on hérite  Faut que premier précède le mérite ;  Ne pensons point l'acquérir autrement : Sans ce point-là, on perd l'entendement.  Le bien vivant va à salvation,  Le mal vivant va à damnation ;  Rien n'emportons de ce monde terrestre.  Que le bien fait, et le corps en terre être. Préméditant mes dessus dits propos,  En un matin, tôt après mon repos,  Ma plume pris pour mettre par écrit  Comme et comment Fortune m'a prescrit  Car tant ai eu sur ma personne envie  Que suis privé de tous biens pour ma vie ;  Et m'a contraint de me destituer  Du bien qu'ai eu, pour autre instituer.  Or, pour narrer ma fortune invincible  Est que j'ai mis en moi tout le possible  De fréquenter les gens dignes d'honneur,  Et supplier jésus, le grand donneur,  De me pourvoir ou de près ou de loin  De ce qui m'est nécessaire au besoin  A l'âme et corps, avant finir mes jours,  Et délaisser du monde les séjours,  Le requérant m'être miséricors  A l'âme plus qu'il ne convient au corps.  Nonobstant ce, ma requête signée  Encores n'est, n'aussi entérinée. Las ! je ne sais si c'est pour mon péché  Que n'ai été ouï et dépesché,  Ou que mon coeur n'a voulu consentir  De ne fleurer ce qu'il devait sentir.  Or pauvreté joyeuse et volontaire,  Sûre vie est, et très fort salutaire,  Mais tant y a, avant que s'y offrir,  Comme l'on dit, elle est grive à souffrir. Peu de gens a qui aujourd'hui la quièrent,  Ni de l'avoir le bon Dieu ne requièrent ;  Ce néanmoins, pour mon cas avérer  Délibéré je suis persévérer De le prier de très bon coeur, afin  D'être pourvu de lui avant ma fin.  Plus ne me faut attendre à mes amis,  Décédés sont, et en la terre mis,  Qui m'a été une excessive perte  Que j'ai connu et connais bien aperte,  Car j'ai depuis leur trépas et décès  De pauvreté enduré les excès.  Nécessité tant m'a importuné  Que me voyant ainsi infortuné  Et dénué d'amis de grand'valeur,  Avec lesquels souventes fois va l'heur,  Avis m'est pris de tout point me tirer  Devers quelqu'un (et de moi retirer)  Plein de valeur et de noble vouloir  Qui puissance a de me faire valoir ;  Et lequel m'a doucement accueilli  Et de bon coeur reçu et recueilli  Dont et de quoi en rends grâces à Dieu,  Le suppliant lui donner place et lieu  Lassus ès cieux, au partir de ce monde,  Où tout soulas et toute joie abonde,  Et inspirer le dit seigneur prédit  De me pourvoir, comme autrefois m'a dit,  De quelque bien, sans y contrevenir,  Comme il verra, pour le temps advenir.  Faire le peut, s'il s'y veut employer,  Sans son trésor nullement déployer ;  S'il me fallait, je n'ai aucune attente  De nul qui soit, de quoi ne me contente. Mais attendant sa grâce expectative  Pleine d'amour et très consolative  Je vacquerai en dévote oraison  Prier jésus de lui toute saison  Si que de coeur et de bonne amitié  L'infortuné y regarde en pitié. (*) pénible (**) peau
                
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