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Robert Desnos - Extrait de "Corps et Biens"

Extrait du document

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité. Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère? J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être. Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.O balances sentimentales. J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd' hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu. J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie. Robert Desnos Extrait de "Corps et Biens" Poésie/Gallimard

« Pistes méthodologiques Analyser le texte • Ce poème de Robert Desnos est un poème en prose de registre lyrique. La répétition au début de quatre paragraphes de la proposition « J'ai tant rêvé de toi...

» (anaphore) y exprime l'enva¬hissement du rêve amoureux : le poète est entièrement habité, obsédé par la pensée de la femme aimée. • On comprend que le poète, en l'absence de la femme aimée, a cherché à l'évoquer, à lui donner corps par sa seule pensée mais avec des conséquences inverses de celles désirées puisqu'elle et lui, semblent y avoir perdu leur réalité... Trouver les idées directrices • On peut dans un premier temps analyser le poème comme une plainte : J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité .

Le poète désire ardemment la femme qu'il aime et celle-ci, sous l'effet du rêve, semble comme se dissoudre. • Cependant, même si on peut y déceler des accents élégiaques, ce poème est d'abord un hymne vibrant à la femme aimée. • R.

Desnos a évidemment lu ses prédécesseurs.

Il ne faut pas hésiter par conséquent à relever ce qu'il emprunte à la tradition et montrer comment il fait siens ces emprunts. Éléments de corrigé Proposition de plan I.

L'expression d'une plainte A.

Un sentiment d'éloignement B.

Un sentiment de dépossession II.

Un hymne à la femme aimée A.

Le registre amoureux B.

Femme ou divinité? III.

Des motifs traditionnels renouvelés A.

Les emprunts à la tradition B.

Un nouvel Orphée Commentaire semi-rédigé Les indications données entre crochets ne doivent pas figurer sur la copie. [Introduction] Dans un groupe de poèmes extraits du recueil Corps et Biens, Robert Desnos, poète surréaliste du début du XXe siècle, s'adresse « À la mystérieuse ».

On devine qu'il s'agit de la femme aimée mais d'où vient son mystère? L'analyse de l'un des poèmes, J'ai tant rêvé de toi , nous permet d'apporter des éléments de réponse à cette question. Dans un premier temps, nous expliquerons en quoi le poème relève du registre élégiaque.

Puis nous nous emploierons à mettre en évidence sa nature d'hymne amoureux.

Pour finir, le repérage de motifs empruntés à la tradition permettra de montrer comment R.

Desnos se les approprie et nous propose une variation suggestive sur le mythe d'Orphée. [I.

L'expression d'une plainte] [A.

Un sentiment d'éloignement] « J'ai tant rêvé de toi que...

».

Ce groupe de mots répété par quatre fois en tête de paragraphe scande tout le poème de R.

Desnos et exprime l'idée d'un rêve obsédant.

Cependant, au lieu de faire surgir la femme aimée, ce rêve réitéré ne fait que l'éloigner ; pire encore, il semble la dissoudre.

Idéalisée au sens littéral par le rêve, la femme aimée perd de sa réalité pour n'être plus qu'une idée.

Elle paraît même avoir quitté définitivement le monde des vivants : « Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère? » [B.

Un sentiment de dépossession] Cette sensation d'avoir perdu celle qu'il aimait provoque chez le poète un profond malaise.

Il devient lui-même une « ombre », un « fantôme ». Cependant cette dépossession de soi est aussi une manière d'exprimer la force de son amour.

[II.

Un hymne à la femme aimée] [A.

Le registre amoureux] Il apparaît donc clairement que ce poème aux accents élégiaques constitue d'abord et avant tout un hymne à la femme aimée.

On y retrouve tout un lexique propre au registre amoureux : « baiser », « étreignant », « sentimentales », « amour », « toucher ton front et tes lèvres », « couché avec ton fantôme »...

Le tutoiement (« toi », « ton », « ta ») renforce l'impression de découvrir un fragment de discours amoureux.

Les deux personnages sont d'ailleurs réunis dans l'apostrophe « et toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi ». [B.

Femme ou divinité?] Cependant, cette femme aimée, unique, est une femme rêvée et inaccessible ( je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venus ). Au fil du texte, elle perd sa réalité de femme pour se hisser au rang d'être supérieur, de divinité solaire.

Elle « gouverne depuis des jours et des années » le destin du poète.

Elle a le pouvoir de le métamorphoser en ombre.

Ainsi s'explique mieux la dédicace du groupe de poèmes adressée à la mystérieuse . [III.

Des motifs traditionnels renouvelés] [A.

Les emprunts à la tradition] En fait, R.

Desnos retrouve et revivifie dans ce texte des motifs anciens de la poésie lyrique : l'absence ne nuit pas à l'amour, il le renforce ; la mort ou la séparation donnent naissance à la mélancolie, à la nostalgie et, le doute une fois dépassé, à un amour plus profond. [B.

Un nouvel Orphée] R.

Desnos s'appuie par ailleurs sur les mythes qui sous-tendent traditionnellement la poésie amoureuse : en particulier le mythe d'Orphée. Cependant, ce mythe est renouvelé : « fantôme parmi les fantômes », le poète ne peut tenter de ramener la femme aimée vers lui ou vers la vie, mais seulement « se promener allégrement sur le cadran solaire de [sa] vie . [Conclusion] R.

Desnos nous propose ici un poème particulièrement original.

Il y utilise de nombreux motifs traditionnels mais leur redonne vie en les utilisant de manière personnelle.

L'absente, aimée et divinisée, le dépossède de lui-même.

Le mort vivant qu'il devient n'existe que par rapport à elle, comme une ombre projetée par sa présence lumineuse.. »

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