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Rabelais, Pantagruel, chapitre 10

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Rabelais, Pantagruel, chapitre 10 Vous avez entendu dire du bien de ce grand personnage, nommé Maitre Pantagruel, dont on a reconnu que la science surpassait, lors des grandes discussions publiques qu'il a soutenues contre tous, ce dont l'epoque actuelle est capable ? Je suis d'avis que nous rappelions et que nous conferions de cette affaire avec lui, car aucun homme n'en viendra jamais a bout, si celui-la ne le peut. » Tous les conseillers et docteurs y consentirent volontiers. De fait, ils l'envoyerent chercher sur l'heure et le prierent de bien vouloir mettre le procès sur le métier, de l'eplucher a fond, et d'en faire le rapport qu'il estimerait convenable selon la veritable science du droit. Ils lui mirent entre les mains les dossiers et les acres, qui equivalaient presque au chargement de quatre gros tines couillards. Mais Pantagruel leur dit : « Messires, les deux seigneurs qui ont ce proces ensemble sont-ils encore vivants ? » On lui repondit que oui. « A quoi diable, dit-il, sert donc tout ce fatras de papiers et de copies que vous me donnez ? N'est-ce pas mieux de les entendre exposer euxmemes de vive voix leur debat plutôt que de lire ces singeries qui ne sont que tromperies, ruses diaboliques de Cepola et corruptions du droit ? Car je suis sur que vous et tous ceux entre les mains desquels est passé ce proces, y avez rabouté tous les arguments que vous avez trouvés Pour et Contre ; et, si par hasard leur controverse etait limpide et facile a juger, vous l'avez obscurcie par de sottes et déraisonnables raisons et par les ineptes opinions d'Accurse, Balde, Bartole, de Castro, d'Imola, Hippolyte, Panorme, Bartachim, Alexandre, Curtius et de ces autres vieux cabots, qui jamais ne comprirent la moindre loi des Pandectes, et n'etaient que de bons gros veaux, ignorant totalement ce qui est necessaire a l'intelligence des lois. « Car (c'est certain) ils ne connaissaient ni le grec, ni le latin, mais seulement le gothique et le barbare ; et cependant les lois sont prises premierement chez les Grecs, comme en temoigne Ulpien au livre deux de De l'origine du droit, et toutes les lois sont pleines de formules et de mots grecs ; deuxiemement, elles sont redigées en latin, le plus elegant et le plus orne qui soit dans toute la langue latine (et je ne voudrais pas que l'on exclue celui de Salluste, de Varron, de Ciceron, de Seneque, de Tite-Live, de Quintilien. Comment donc auraient-ils pu comprendre les textes des lois, ces vieux abrutis qui n'ont jamais vu un bon livre ecrit en latin, comme on s'en rend Bien compte a leur style, qui est un style de ramoneur de cheminée ou de cuisinier et de marmiton, mais non de jurisconsulte" ? « De plus, vu que les lois tirent leurs racines du fond de la philosophie morale et naturelle, comment feront-ils pour les comprendre, ces fous qui, par Dieu, ont moins etudié la philosophie que ma mule ? En ce qui concerne la culture humaniste et la connaissance de l'antiquité et de l'histoire, ils en étaient parés tout autant qu'un crapaud de plumes, et cependant le droit en est rempli et ne peut etre compris sans cela, comme je le montrerai plus clairement un jour par ecrit. Aussi, si vous voulez que j'aie connaissance de ce procès, premierement faites-moi bruler tous ces papiers, et deuxiemement faites venir les deux gentilshommes en personne devant moi, et, quand je les aurais entendus, je vous donnerai mon opinion la-dessus, sans feinte ni dissimulation d'aucune sorte.

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