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Proust, Du côté de chez Swann

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Proust, Du côté de chez Swann De ce poste élevé elle participait avec entrain à la conversation des fidèles et s'égayait de leurs " fumisteries ", mais depuis l'accident qui était arrivé à sa mâchoire, elle avait renoncé à prendre la peine de pouffer effectivement et se livrait à la place à une mimique conventionnelle qui signifiait, sans fatigue ni risques pour elle, qu'elle riait aux larmes. Au moindre mot que lâchait un habitué contre un ennuyeux ou contre un ancien habitué rejeté au camp des ennuyeux - et pour le plus grand désespoir de M. Verdurin qui avait eu longtemps la prétention d'être aussi aimable que sa femme, mais qui, riant pour de bon, s'essoufflait vite et avait été distancé et vaincu par cette ruse d'une incessante et fictive hilarité -, elle poussait un petit cri, fermait entièrement ses yeux d'oiseau qu'une taie commençait à voiler, et brusquement, comme si elle n'eût eu que le temps de cacher un spectacle indécent ou de parer à un accès mortel, plongeant sa figure dans ses mains qui la recouvraient et n'en laissaient plus rien voir, elle avait l'air de s'efforcer de réprimer, d'anéantir un rire qui, si elle s'y fût abandonnée, l'eût conduite à l'évanouissement. Telle, étourdie par la gaîté des fidèles, ivre de camaraderie, de médisance et d'assentiment, Mme Verdurin, juchée sur son perchoir pareille à un oiseau dont on eût trempé le colifichet dans du vin chaud, sanglotait d'amabilité.

« Commentaire d’un extrait de Du Côté de chez Swann, Proust Introduction Ce texte prend place dans le premier volume de A la Recherche du temps perdu de Marcel Proust intitulé Du côte de Chez Swann, et plus précisément dans la deuxième partie de ce roman : « Un amour de Swann » se présentant comme un retour en arrière dans la vie d’un des personnages important de la Recherche : Swann. Notre extrait présente une description satirique du salon bourgeois que tiennent les Verdurin dans le Paris snob, prétendant ainsi rivaliser avec l’aristocratie. Projet de lecture : Comment Proust à travers le portrait du salon Verdurin révèle-t-il son ridicule et ses dangers ? I ) La description d’un salon bourgeois 1) Une société hiérarchisée Proust présente, dans cette description, la hiérarchie régnant dans le salon bourgeois.

Cette hiérarchie est visible dans la position même des personnages, notamment à travers la place de Madame Verdurin qui siège sur son « poste élevé ».

Ce « poste » s’avère être « un haut siège suédois en sapin ciré qu'un violoniste de ce pays lui avait donné » dont il est question dans la phrase précédant notre passage.

Cette assise surélevée lui donne l’aval sur tous les membres du salon et la présente d’emblée comme la maîtresse de ce lieu.

Cette hiérarchie visible plaçant Madame Verdurin dans la position la plus haute est cependant tournée en dérision, la souveraineté de la maîtresse n’étant réduite qu’à une apparence de puissance, à travers l’expression « juchée sur son perchoir » , réduisant Madame Verdurin à un vulgaire oiseau. La hiérarchie régnant dans cette société implique un règne des conventions jusque dans les expressions du visages et les émotions qui, en général, se situent du côté du spontané : c’est ce que suggère l’évocation de la « mimique conventionnelle » de Madame Verdurin.

Tout n’est donc qu’apparence et convention ce qui révèle l’hypocrisie fondamentale de ses salons. 2) Le règne de la rivalité Ce ne sont pas des discussions ni débats sérieux qui animent l’essentiel de ces salons bourgeois ( qui préfèrent les « fumisteries », c’est-à-dire les discussions sans importance) mais la rivalité qui s’instaure à plusieurs échelles.

La rivalité règne d’abord entre les différents salons : ainsi les gens n’appartenant pas au salon verdurin ou en ayant été exclus se voient désigner sous l’adjectif « ennuyeux » (relever la violence suggérée par les expressions évoquant cette rivalité : «Au moindre mot que lâchait un habitué contre un ennuyeux ou contre un ancien habitué rejeté au camp des ennuyeux ») , ce salon bourgeois prétendant, à travers ce terme, être un lieu réputé pour sa vivacité où l’on ne s’ennuie jamais : c’est ce que suggère aussi l’omniprésence du rire dans ce passage qui vise à présenter le salon comme un lieu de divertissement.(cf.

champ lexical de l’amusement : « s’égayait de leurs «fumisteries»… la gaîté des fidèles »).

Cependant cette gaieté entre habitués ayant pour ennemis comme un les « ennuyeux » se présente comme totalement factice, puisque la rivalité malsaine règne au sein même du salon.

La camaraderie, l’amitié et la bienfaisance ne sont qu’apparentes et masquent un souci constant de s’élever au dessus des autres à étudier l’énumération ternaire : «ivre de camaraderie, de médisance et d'assentiment » mettant sur le même plan camaraderie, médisance et assentiment : les deux substantifs à connotation positive enserre le substantif à connotation négative révélant que toutes les apparences d’amitié convergent vers la médisance réelle.

De plus l’association de l’adjectif « ivre » au substantif « camaraderie » indique la facticité de cette amitié.

Par ailleurs la concurrence entre les époux verdurins pousse à son paroxysme le règne de la rivalité dans ce salon bourgeois : « pour le plus grand désespoir de M.

Verdurin qui avait eu longtemps la prétention d’être aussi aimable que sa femme » : l’expression hyperbolique « pour le plus grand désespoir » souligne la démesure de ce règne de la rivalité et évoque implicitement les dangers de la fréquentation des salons bourgeois. 3) Une société sectaire et fanatique Le salon verdurin apparaît comme une société ésotérique, où ne viennent que les « habitués », les initiés et dont sont exclus les profanes « ennuyeux ».

Proust en souligne les dangers en la présentant comme une société fanatique. Les membres du salon sont à deux reprises dans notre extrait évoqués par le terme « fidèles » qui les présentent comme les membres d’une secte : le salon verdurin révèle ici sa volonté de se muer en véritable église ( noter Madame Verdurin, assise sur sa chaise en hauteur qui s ‘apparente à une chaire de prêtre) de l’amabilité où l’on voue un culte au rire.

Ce culte du rire est présenté comme dangereux par Proust à travers humour et satire : le rire est associé à la mort et à la violence : « accès mortel…réprimer…anéantir…évanouissement ».

Proust souligne ici implicitement non la dangerosité du rire en soi mais les dangers du rire hypocrite et feint auquel mes membres fanatiques du salon vouent une sorte de culte.. »

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