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Philippe DESPORTES (1546-1606) (Recueil : Bergeries) - Douce Liberté désirée

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Philippe DESPORTES (1546-1606) (Recueil : Bergeries) - Douce Liberté désirée Douce Liberté désirée, Déesse, où t'es-tu retirée, Me laissant en captivité ? Hélas! de moi ne te détourne ! Retourne, ô Liberté ! retourne, Retourne, ô douce Liberté. Ton départ m'a trop fait connaître Le bonheur où je soulais être, Quand, douce, tu m'allais guidant : Et que, sans languir davantage, Je devais, si j'eusse été sage, Perdre la vie en te perdant. Depuis que tu t'es éloignée, Ma pauvre âme est accompagnée De mille épineuses douleurs : Un feu s'est épris en mes veines, Et mes yeux, changés en fontaines, Versent du sang au lieu de pleurs. Un soin, caché dans mon courage, Se lit sur mon triste visage, Mon teint plus pâle est devenu : Je suis courbé comme une souche, Et, sans que j'ose ouvrir la bouche, Je meurs d'un supplice inconnu. Le repos, les jeux, la liesse, Le peu de soin d'une jeunesse, Et tous les plaisirs m'ont laissé : Maintenant, rien ne me peut plaire, Sinon, dévot et solitaire, Adorer l'oeil qui m'a blessé. D'autre sujet je ne compose, Ma main n'écrit plus d'autre chose, Jà tout mon service est rendu ; Je ne puis suivre une autre voie, Et le peu du temps que j'emploie Ailleurs, je l'estime perdu. Quel charme, ou quel Dieu plein d'envie A changé ma première vie, La comblant d'infélicité ? Et toi, Liberté désirée, Déesse, où t'es-tu retirée, Retourne, ô douce Liberté ! Les traits d'une jeune guerrière, Un port céleste, une lumière, Un esprit de gloire animé, Hauts discours, divines pensées, Et mille vertus amassées Sont les sorciers qui m'ont charmé. Las! donc sans profit je t'appelle, Liberté précieuse et belle ! Mon coeur est trop fort arrêté : En vain après toi je soupire, Et crois que je te puis bien dire Pour jamais adieu, Liberté.

« Introduction Philippe Desportes est un poète français du XVI siècle.

En marge des poètes de la Pléiade, son œuvre est typiquement celle des poètes de cour.

Il devint d’ailleurs le favori du duc d’Anjou, futur Henri III.

Nommé « poète officiel », sa plume est moins inspirée et plus conventionnelle que celle des poètes de la Pléiade, pour autant sa gloire ira jusqu’à éclipser celle de Ronsard.

Paradoxalement, l’œuvre de Desportes contraste avec celle de ses contemporains : l’enthousiasme divin n’est pas revendiqué, et la violence de l’époque ( guerre de religion qui opposa catholique et protestant) n’est pas non plus traduite ou décrite. Ce poème, extrait du recueil Bergeries, est un texte composé de neuf strophes d’octosyllabes, la première est un septain et les 8 autres sont des sizains.

Le poète s’adresse dans ces vers à la liberté, qu’il déifie.

Desportes se lamente, expliquant non pas comment il a perdu sa liberté, mais comment il vit, ou survit sans elle. En quoi ce poème, qui parle de captivité, fait-il référence au thème lyrique de la souffrance amoureuse sur un ton élégiaque. Etude linéaire, en commentant le texte selon trois mouvements : 1) Septain 1 à 3 : une supplication poétique, 2) sizain 4 à 6 : la lamentation de l’homme et de l’écrivain, 3) sizain 7 à 9 : la résignation du poète. I : Supplication élégiaque du poète : 1 er septain : déification de la Liberté en « Déesse ».

Dès lors la thématique et la circonstance de ce vers sont affirmées.

Il s’agit pour Desportes de mettre en vers la souffrance de la captivité. Les trois premières strophes sont écrites avec une tonalité de supplication : il supplie la liberté de revenir à lui et exprime sa détresse sur un ton élégiaque : il demande à la liberté de revenir vers lui comme s’il s’agissait d’une femme : personnification avec l’emploi de qualificatifs « douce » ; « désirée ».

La supplication se traduit aussi avec l’emploi des impératifs aux vers 6 et 7 « retourne ». La détresse et la mélancolie du poète sont perceptibles au niveau du lexique : vers 14 ; répétition du verbe « perdre » et jeu avec le sémantisme en perdre la vie et perdre quelqu’un. Dans ces strophes, Desportes évoque sa vie depuis sa captivité (troisième strophe); le substantif est d’ailleurs employé au vers 4 : 1) le misérabilisme du poète se fait ressentir par l’exagération d e s e s maux et d e s o n malheur : « pauvre âme », « mille épineuses douleurs ».

Il fait aussi appel aux topoi (lieux communs) antiques et classiques: le cœur, les yeux, le sang et le feu qui coulent dans les veines sont autant de métaphores qui permettent au poète d’évoquer le sentiment amoureux, ou l’absence de celui-ci. Deuxième mouvement : La lamentation du poète Alors qu’auparavant Desportes implorait à la liberté de revenir à lui, les trois sizains qui suivent sont consacrés aux souffrances de l’homme et de l’écrivain.

Les thèmes lyriques de la détresse et de la mort sont évoqués ici selon l’esthétique baroque propre à l’époque : les images morbides se succèdent « teint pâle », « supplice »… L’amplification baroque passe aussi par le fait d’associer des extrêmes dans la même strophe : « Et maintenant rien ne me peut plaire ». La figure de l’écrivain qui se lamente de ne pouvoir trouver d’inspiration : 6ème strophe : « tous les plaisirs m’ont laissé : ma main ».

Avoir perdu sa liberté équivaut à avoir perdu l’inspiration.

Paradoxe : n’est-il pas en train de composer ? A ce titre, nous pouvons nous interroger sur l’authenticité du poète dans ce poème, et donc par là même nous demander si l’auteur a auparavant déjà ressenti la souffrance de la captivité ? Troisième mouvement : la résignation du poète Desportes, dans le premier sizain de ce mouvement, confronte sa vie actuelle à sa vie passée.

Selon lui son statut actuel est vécu comme une fatalité : « Quel charme, ou quel Dieu plein d’envie A changé ma première vie La comblant d’infélicité ? » Aussi, ce poème se clôt sur une note négative : l’adieu du poète qui se résigne. Il évoque aussi, sous forme d’énumération (avant dernier sizain) tout ce qu’il a perdu au moment de l’écriture.

La grandeur évoquée (perceptible au niveau lexical : « céleste, lumière, gloire, divines pensées… » s’oppose à l’état actuel de l’homme qui ne peut qu’écrire sur quelque chose qu’il désire plus que la vie mais qu’il n’aura pas. Conclusion : Ce poème est intéressant puisqu’il est un exemple de « poésie de circonstance ».

Le poète courtisan évoque au travers de ses vers des situations vécues.

Nous pouvons en revanche nous interroger sur l’authenticité du poète.

En effet, la déification de la liberté, exprimée ici dans la souffrance de la captivité, semble être ressentie, à défaut d’être vécue peut-être, comme une souffrance amoureuse. Remarques sur le schéma rimique : Le sizain consiste à deux vers à rimes plates suivis de quatre vers à rimes embrassées ou croisées (AABCCB) ou (AABCBC). Le Moyen Âge, qui avait inventé cette forme, avait surtout pratiqué les mètres courts.

Au XVIIe siècle, elle était encore fort prisée; puis elle s'est fait rare, pour réapparaître, avec le romantisme, d'abord chez Sainte-Beuve, puis chez Victor Hugo.. »

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