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Paul Verlaine : Beams

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Paul Verlaine : Beams (Romances sans paroles, Aquarelles, 1874) Elle voulut aller sur les flots de la mer Et comme un vent bénin soufflait une embellie, Nous nous prêtâmes tous à sa belle folie, Et nous voilà marchant par le chemin amer. Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse, Et dans ses cheveux blonds c'étaient des rayons d'or, Si bien que nous suivions son pas plus calme encor Que le déroulement des vagues, ô délice ! Des oiseaux blancs volaient alentour mollement, Et des voiles au loin s'inclinaient toutes blanches. Parfois de grands varechs filaient en longues branches, Nos pieds glissaient d'un pur et large mouvement. Elle se retourna doucement inquiète De ne nous croire pas pleinement rassurés ; Mais nous voyant joyeux d'être ses préférés, Elle reprit sa route et portait haut la tête. Douvres-Ostende, à bord de la «Comtesse-de-Flandre» , 4 avril 1873.

« Sans dissocier la forme et le fond vous ferez un commentaire composé de ce texte. Vous pourrez par exemple étudier par quels procédés de composition, de style, de versification, Verlaine parvient à transformer la réalité d'un voyage maritime en une scène de rêve, et comment la vie corrigée s'y métamorphose en beauté, pureté, espoir. Verlaine, poète de tendance symboliste de la deuxième moitié du XIXe siècle, tomba malade à la suite de son abandon par Rimbaud : il quitta alors l'Angleterre pour regagner la Belgique en bateau.

Ce poème, Beams, appartient au recueil Romances sans paroles : il fut écrit le 4 avril 1873 lors de la traversée Douvres-Ostende à bord de la « Comtesse-deFlandre », et il évoque la vision d'une femme imaginaire sur la mer. Non seulement la poésie transfigure un paysage maritime banal, mais la femme le transforme en vision de rêve. La vue du paysage marin paraît d'abord banale, puis elle change sous une influence mystérieuse. Cette vision comporte des éléments très classiques : d'abord la mer, avec ses caractéristiques les plus ordinaires : « les flots de la mer », et « le déroulement des vagues » ; puis le ciel et le temps, qui est beau, calme et tranquille, avec des détails favorables à la navigation : « un vent bénin » et « une embellie » laissent apprécier « le soleil » et « le ciel calme et lisse ».

Enfin le décor comprend des objets qu'on trouve fréquemment en mer : le décor immédiat est composé de « varechs », le décor proche d' « oiseaux », sans doute des mouettes, et le décor lointain de « voiles » : il s'agit en réalité de bateaux, mais on n'en distingue que les voiles. Ce paysage maritime banal est transfiguré, peut-être sous l'influence des rayons, sens anglais du titre « Beams », et aussi par l'art du poète qui choisit des aspects particuliers de la vision. Le beau temps et la nature bienveillante apportent un éclairage rassurant à ce tableau : « le vent bénin », « l'embellie », « le ciel calme », « le calme des vagues », « le déroulement des vagues » montrent une complicité favorable et une tranquillité apaisante.

Les couleurs gaies apportent une note de gaieté : le « blanc » est nommé et répété à propos des oiseaux et des voiles, le jaune, couleur du soleil et de la lumière, n'est pas dit, mais suggéré, de même que le bleu, couleur du ciel et de la mer.

Enfin la beauté et la grâce du décor transparaissent à travers un certain nombre de verbes : « luisait haut », « volaient mollement », « s'inclinaient », « glissaient d'un large et pur mouvement », expriment des mouvements gracieux et harmonieux, soulignés par un rythme lent et des sonorités douces et fluides; les quatre strophes régulières de quatre alexandrins impriment une grâce majestueuse au poème, et les assonances en L qu'on entend dans déroulement, délire, blancs, volaient, alentour, mollement, et en R dans or, rassurés, donnent de la fluidité et de la douceur au tableau. Ce paysage est animé par une femme, peut-être une sirène, qui transforme cette vision en rêve. Cette femme est mystérieuse, d'abord par son apparence : nous ne savons rien sur elle sinon qu'elle a des « cheveux blonds ».

Son action est tout aussi étrange : elle marche sur les flots, comme Jésus marchait sur les eaux : c'est un spectacle surnaturel, c'est la représentation d'une femme magique, sans doute issue d'un souvenir religieux.

Verlaine précise qu'elle marche « la tête haute » : est-elle fière ? Estelle heureuse ? Son caractère est seulement esquissé : elle fait preuve ici de bonté, de générosité en faisant attention aux autres, ou bien est-elle plutôt une femme séductrice qui veut garder ses admirateurs : le poème ne permet pas de déterminer avec certitude les raisons pour lesquelles elle se soucie tant des réactions de ceux qui la suivent. Les êtres qui la suivent sont tout aussi mystérieux : on peut tout au moins supposer que ce sont des hommes, et ils entourent le poète.

Ils la suivent par un acte irrationnel : « Nous nous prêtâmes » souligne leur attitude passive, la « belle folie » montre que leur poursuite est contraire à la raison, et « elle voulut aller » confirme que c'est elle qui les entraîne, ce n'est pas leur propre volonté. Ils la suivent dans le calme ; elle-même marche de « son pas calme », et ils adoptent son rythme ; elle-même veut d'ailleurs leur apporter cette sérénité, en veillant à ce qu'ils soient « pleinement rassurés », et « doucement » souligne cette paix et cette harmonie.

La douceur et le calme sont accentués par la régularité des vers, par les alexandrins sans enjambement.

Enfin, ces hommes sont fiers d'avoir été choisis, ils paraissent « joyeux d'être ses préférés » et constituent une cour d'admirateurs comblés. Qui est donc cette femme? Peut-être une vision, une hallucination : Verlaine est malade, et le spectacle de la mer peut le troubler.

Peut-être un rêve, un souvenir : il peut songer à la femme idéale, ou à sa femme Mathilde qu'il a laissée à Paris.

Peut-être une femme rencontrée sur le bateau, peut-être enfin l'image du bateau qui marche sur les eaux : le bateau lié à la femme et à l'amour est un thème qu'Éluard a souvent chanté.

Elle peut être plus simplement le symbole de la femme aimée qui nous ensorcelle, nous entraîne, puis nous échappe : c'est la dangereuse sirène de l'Antiquité avec ses chants tentateurs; elle est sans doute aussi le symbole de la beauté avec ses « cheveux blonds », de la pureté, suggérée par la blancheur, de la sainteté, évoquée par le miracle de la marche sur les eaux, et enfin de l'espoir : elle montre que tout est possible quand on veut aimer une femme. Cette peinture d'une femme dans un paysage marin se rapproche de la poésie symboliste par toutes les idées et tous les sentiments qu'elle suggère.

On ne peut s'empêcher de penser, en lisant ce poème, à la Vénus sortant des Ondes de Botticelli : Verlaine peint un rêve de femme, dont le caractère surnaturel ne peut pas faire oublier qu'elle domine l'homme par son pouvoir, mais qu'elle ne donne ni ne reçoit d'amour.. »

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