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Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Sagesse) - Le ciel est par-dessus le toit

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Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Sagesse) - Le ciel est par-dessus le toit Le ciel est, par-dessus le toit, Si bleu, si calme ! Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme. La cloche, dans le ciel qu'on voit, Doucement tinte. Un oiseau sur l'arbre qu'on voit Chante sa plainte. Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là Simple et tranquille. Cette paisible rumeur-là Vient de la ville. Qu'as-tu fait, ô toi que voilà Pleurant sans cesse, Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, De ta jeunesse ?

« Introduction Le commentaire que Verlaine donne de son propre poème a le premier mérite de nous renseigner sur les circonstances dans lesquelles ce poème a été écrit.

L'auteur se trouve dans une cellule de la prison de Mons, où il a été incarcéré après avoir blessé d'un coup de revolver son ami Rimbaud.

Le commentaire nous détaille les éléments du paysage que Verlaine pouvait voir de la fenêtre de sa cellule.

De ces éléments, seuls figurent dans le poème ceux qui sont propres à nourrir le sentiment.

Les détails vus se transfigurent pour se fondre dans une rêverie lyrique. I.

Des notations juxtaposées Cette impression de rêverie est d'abord suggérée par la manière dont le poème s'organise. En une longue phrase à l'architecture un peu lourde, le commentaire offre une description dominée où chaque point du paysage se situe par rapport aux autres : « Par-dessus le mur de devant ma fenêtre...

au fond de la ...

cour...

je voyais, ...

se balancer la cime...

de quelque haut peuplier...

voisin.

» En une succession de phrases courtes, le poème évoque des notations rapides, sans lien exprimé entre elles : « Le ciel est par-dessus le toit, Si bleu, si calme! Un arbre, par-dessus le toit, Berce sa palme.

» Chaque image fragmentaire, détachée du contexte, est le point de départ d'une impression sentimentale à laquelle, pour un temps, Verlaine se laisse aller tout entier.

La spontanéité de ces impressions s'exprime encore par le choix des rimes que le poète ne prend pas le temps de polir.

Le plus souvent elles se réduisent à la simple répétition des mêmes mots (« par-dessus le toit...

dans le ciel qu'on voit »). La valeur expressive n'y perd d'ailleurs rien, bien au contraire.

Ces termes qui reviennent à des places symétriques, comme un refrain, nous suggèrent une douce mélancolie qui se berce d'elle-même.

L'émotion tourne à la rêverie. Les sonorités s'accordent avec le sentiment suscité par la structure des phrases et la rime.

Comme il convient à l'expression d'une émotion en demi-teintes, elles sont le plus souvent douces, chuchotées, par l'accumulation des sifflantes et des sourdes.

Et la qualité de son de la cloche se traduit par la puissance suggestive du mot « tinte » en fin de phrase.

Sa valeur d'onomatopée, la première syllabe, longue, qui vient retomber sur la seconde syllabe, muette, évoque comme un son filé qui se prolonge en un decrescendo.

Lorsque ces sonorités deviennent plus âpres en accord avec le ton heurté des monosyllabes, c'est au moment où, s'arrachant à sa rêverie, le poète fait un retour tumultueux sur lui-même : « — Qu'as-tu fait, ô toi que voilà...

Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà...

» Comme il convient à un poème lyrique, la forme se tient sans cesse à l'unisson des sentiments exprimés. 2.

Le crescendo de l'émotion Le même souffle lyrique inspire le mouvement général du poème.

Les deux premières strophes expriment sur un ton d'émotion discrète les notations de la vue, puis de l'ouïe.

Mais cette émotion s'accuse déjà avec le choix du dernier détail.

Après le son mélancolique de la cloche, c'est la plainte d'un oiseau que l'on entend, c'est-à-dire la voix d'un être vivant dont les accents poignants ont quelque chose d'humain. Aussi ne nous étonnons pas qu'en une progression régulière se trouve alors évoqué, par-delà le cadre qui s'offre aux regards du prisonnier, un bruit confus fait de multiples voix humaines.

L'émotion qui grandit avec le champ du rêve et avec son objet plus proche du cœur du prisonnier, se trahit par une invocation pathétique deux fois répétée : « Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là...

» Enfin l'émotion à son sommet amène naturellement le poète à une interrogation sur lui-même, à un tragique bilan de son passé, dont la véhémence désolée s'exprime dans une apostrophe au style direct, elle-aussi formulée à deux reprises.

C e poème est un modèle de composition lyrique. 3.

La transfiguration C'est encore en fonction de son caractère de rêverie lyrique que s'explique le choix des détails au sein du poème.

Dans son élan vers le monde extérieur, le reclus n'a que faire d'évoquer les barreaux de sa fenêtre qui établissent entre lui et ce monde un obstacle que, pour un temps, tout à son rêve, il a oublié.

« Les rumeurs lointaines, adoucies » ne sont pas évoquées ainsi que dans le commentaire en prose, comme des rumeurs « de fête ».

Elles feraient dissonance avec le ton recueilli, douloureux de l'ensemble.

A côté des détails qui disparaissent, il y a ceux qui s'estompent.

Il n'est pas question dans la transfiguration poétique des « feuilles voluptueusement frémissantes de quelque haut peuplier d'un square ou d'un boulevard voisin ».

L'évocation de ce square ou de ce boulevard insérerait ici une note prosaïque.

De même ne figure pas la note sensuelle des feuilles voluptueusement frémissantes.

On ne sait même pas qu'il s'agit d'un peuplier.

L'image stylisée qui nous est offerte est celle d'un balancement à la fois doux, mélancolique et apaisant que souligne le choix du mot « palme » aux résonances presque évangéliques.

La vision s'est réduite à l'expression symbolique du sentiment qu'elle suggère.

Enfin, pour compléter le paysage sentimental, le poète renforce la portée de certains détails et en ajoute de nouveaux.

Le ciel d'août devient le symbole de la sérénité et de la pureté : le bleu, comme ce mystique s'en souvient, est la couleur de la vierge.

La cloche comme l'oiseau dont le commentaire ne fait pas mention prolongent en les élargissant le rêve et la mélancolie.

En même temps ils donnent le pas au rêve sur la vision pittoresque : les impressions auditives se situent d'une manière assez inattendue dans le domaine du visuel : « La cloche dans le ciel qu'on voit Doucement tinte.

Un oiseau sur l'arbre qu'on voit Chante sa plainte.

» Par là se trouve mise en valeur la simplicité du paysage avec le petit nombre d'éléments qu'il met en scène, et, en même temps, par le rappel du thème de la première strophe à l'arrière-plan de la deuxième, ces éléments se trouvent étroitement fondus. Conclusion Par cette confrontation se révèle le rôle de la réalité pittoresque dans l'inspiration du poète lyrique.

Le spectacle qu'il contemple, par l'émotion qu'il provoque en lui, donne le branle à sa verve créatrice.

Mais à partir de ce paysage vu, il recompose un paysage intérieur propre à exprimer, dans sa plénitude et dans ses nuances, toute la richesse de ses états d'âme.. »

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