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Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Poèmes saturniens) - Grotesques

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Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Poèmes saturniens) - Grotesques Leurs jambes pour toutes montures, Pour tous biens l'or de leurs regards, Par le chemin des aventures Ils vont haillonneux et hagards. Le sage, indigné, les harangue ; Le sot plaint ces fous hasardeux ; Les enfants leur tirent la langue Et les filles se moquent d'eux. C'est qu'odieux et ridicules, Et maléfiques en effet, Ils ont l'air, sur les crépuscules, D'un mauvais rêve que l'on fait ; C'est que, sur leurs aigres guitares Crispant la main des libertés, Ils nasillent des chants bizarres, Nostalgiques et révoltés ; C'est enfin que dans leurs prunelles Rit et pleure - fastidieux - L'amour des choses éternelles, Des vieux morts et des anciens dieux ! - Donc, allez, vagabonds sans trêves, Errez, funestes et maudits, Le long des gouffres et des grèves, Sous l'oeil fermé des paradis ! La nature à l'homme s'allie Pour châtier comme il le faut L'orgueilleuse mélancolie Qui vous fait marcher le front haut, Et, vengeant sur vous le blasphème Des vastes espoirs véhéments, Meurtrit votre front anathème Au choc rude des éléments. Les juins brûlent et les décembres Gèlent votre chair jusqu'aux os, Et la fièvre envahit vos membres, Qui se déchirent aux roseaux. Tout vous repousse et tout vous navre, Et quand la mort viendra pour vous, Maigre et froide, votre cadavre Sera dédaigné par les loups !

« Commentaire du poème « Grotesques » (Poèmes Saturniens) de Paul Verlaine Introduction : Ce poème « Grotesques » est extrait des Poèmes Saturniens, premier recueil de Verlaine, publié en 1866.

Dans ce recueil, Verlaine se pace sous le signe de Saturne, planète de la mélancolie.

Les Saturniens figurent une sorte de communauté imaginaire à laquelle se trouvent associés tous ceux qui subissent l'influence de la « fauve planète.

« Grotesque » prend plus précisément place dans la section « Eaux-Fortes » du recueil, section dédiée au poète parnassien François Coppée.

L’eau forte est un type de gravure, le plus apte, selon Baudelaire à exprimer la personnalité et l’individualité de l’artiste. Projet de lecture : En quoi ce poème est-il « grotesque » ? I) Un poème visuel et pictural 1) Le titre du poème Le titre du poème ( comme celui de la section) est emprunté au vocabulaire pictural : les grotesques désignent des petites figures, arabesques servant de décor mural, inspirées de celles qui furent trouvées dans les édifices anciens ensevelis sous terres.

Par extension elles désignent aussi des figures bizarres et chargées dans laquelle la nature est contrefaite.

Certains indices du texte renvoient à ce titre emprunté au vocabulaire artistique.

D’une part, l’étrangeté des figures décrites est soulignée dans le poème par l’emploi de l’adjectif « bizarres » et par l’équivoque conservée jusqu’à la sixième strophe (et à moitié résolue) sur l’identité des personnages décrits, seulement désignés par le pronom personnel masculin de la troisième personne du singulier : « ils ».

Par ailleurs la dimension ancienne est véhiculée par une évocation du passé dans la cinquième strophe : C’est enfin que dans leurs prunelles Rit et pleure – fastidieux – L’amour des choses éternelles, Des vieux morts et des anciens dieux ! La référence à un passé antique ( à travers la mention des « anciens dieux ») rappelle les grotesques de l’art pictural. 2) La dimension visuelle du poème Ce poème de Verlaine se présente comme un tableau dont le poète nous décrit de façon méthodique les composants.

La dimension descriptive du poème est accentuée par l’emploi récurrent du présentatif « c’est » : les choses surgissent aux yeux du poète dans l’évidence de leur présence, comme s’il était face à un tableau.

La composition du poème présentant cinq strophes descriptives suivie de cinq strophes de commentaire personnel du poète (marqué par l’adresse soudaine du poète aux « vagabonds » au début de la sixième strophe) fait de Verlaine ici un critique d’art. Par ailleurs certaines images fortes viennent renforcer la dimension visuelle du poète.

Dans le deuxième quatrain, on a l’impression d’assister à une véritable scène dramatique, le poète mettant en scène les plaintes du sage et du sot face à ces étranges personnages et les moqueries des enfants.

Cette scène se poursuit lorsque le poète évoque les « chants bizarres » que « nasillent » les vagabonds.

Dans l’avant-dernier quatrain, Verlaine nous montre le spectacle pathétique et morbide de la maladie et de la décomposition future de ces hommes, mortifiés par la dureté de la nature : Les juins brûlent et les décembres Gèlent votre chair jusqu’aux os Et la fièvre envahit vos membres Qui se déchirent aux roseaux. à relever ici les verbes visuels évoquant une torture physique( « brûlent…gêlent…envahit…déchirent…) II) La peinture de personnages « grotesques » Le terme grotesque, étendu au langage courant, désigne toute chose révélant un style privilégiant les formes étranges, dérisoires et inattendue et déclenchant le rire par son caractère insolite.

Mais le grotesque suscite autant le rire que la peur ; comme le dit Hugo « d’une part il crée le difforme et l’horrible, de l’autre, le comique et le bouffon.

» Dans ce poème Verlaine reprend et illustre la définition hugolienne du grotesque en mêlant constamment horrible et comique. 1) Le difforme et l’horrible. »

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