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Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Poèmes saturniens) - L'angoisse

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Paul VERLAINE (1844-1896) (Recueil : Poèmes saturniens) - L'angoisse Nature, rien de toi ne m'émeut, ni les champs Nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales Siciliennes, ni les pompes aurorales, Ni la solennité dolente des couchants. Je ris de l'Art, je ris de l'Homme aussi, des chants, Des vers, des temples grecs et des tours en spirales Qu'étirent dans le ciel vide les cathédrales, Et je vois du même oeil les bons et les méchants. Je ne crois pas en Dieu, j'abjure et je renie Toute pensée, et quant à la vieille ironie, L'Amour, je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus. Lasse de vivre, ayant peur de mourir, pareille Au brick perdu jouet du flux et du reflux, Mon âme pour d'affreux naufrages appareille.

« Le Parnasse est né comme une réaction contre les rigueurs du romantisme.

A cette sévère poésie, composée comme un tableau de David, les parnassiens opposent la leur, plus légère, plus vive, =a peu plus dans le style de Delacroix.

Le scientisme est à la mode et le nihilisme le suit de près.

Beaucoup de parnassiens se laisseront tenter par ces concepts.

Ainsi, Verlaine, qui, dans son poème l'Angoisse, nous présente une violente diatribe ou peut-être...

un testament. Dans ce poème, Verlaine fait en quelque sorte, une liste de tout ce qui peut toucher l'homme.

Il s'oppose à toutes les inspirations possibles des poètes.

Il dénigre la beauté : « Name, rien de toi ne m'émeut...

» ; il se moque de « l'Homme » et de ses réalisations.

Il s'en moque presque avec une certaine méchanceté, puisqu'il est même indifférent à l'Homme : « Et je sois du même oeil, les bons et les méchants.

» Il proclame son athéisme, n'accepte aucune conception et tente d'oublier l'inoubliable : l'amour, qu'il nomme « vieille ironie ». Les trois premières strophes sont comme une introduction à la quatrième.

Dans cette dernière strophe, son désespoir ne peut titre plus profond et c'est, en quelque sorte, le cri de l'homme résigné à mourir. La notion du nihilisme est partout présente dans ce poème.

On y sent bien, d'abord, le mépris du poète pour tout ; son désintéressement de l'homme, son ignorance voulue de Dieu et ce refus dépité de l'amour.

Est-ce là l'appel de l'homme qui espère encore en la vie alors qu'il n'est déjà plus temps, ou plutôt le cri d'adieu de celui qui ne veut plus croire ? Ce poème ne nous montre pas qu'un poète, vaguement victime du « spleen » ; nous sommes les témoins de l'effarante solitude d'un homme qui a oublié ou renié les charmes de la vie. Dans la première strophe, Verlaine s'en prend d'abord à la nature.

Cela ne nous surprend pas : il l'a tant chantée, tant aimée.

A chaque vers, nous retrouvons les inspirations de ces autres poèmes.

« L'écho vermeil des pastorales siciliennes », n'est-ce pas le reflet de ces « fêtes galantes », charmantes, insouciantes ? Il efface, il oublie la beauté des levers et des couchers de soleil.

Et pourtant, dans son poème Soleils couchants, quelques vers avaient suffi pour qu'éclate son admiration : « Une aube affaiblie Verse par les champs La mélancolie Des soleils couchants.

» Rien ne l'émeut plus ; les bruits, les formes, les couleurs sont de lointains souvenirs. Dans la deuxième strophe, Verlaine « attaque » l'Art et l'Homme.

Nous sommes bien loin du parnassien idéaliste qui avait pour devise « l'art pour l'art ».

Il se moque de l'homme et, pourtant, il repousse ses plus belles réalisations : « ...

temples grecs...

» et « ...

tours en spirales qu'étirent...

les cathédrales.

» Oui, il se moque mais peut-il oublier tout cela ? L'humanité même, l'indiffère.

Il rejette les différences, les raisons, même importantes, qui séparent les hommes, pour les fondre tous ainsi, dans le moule de son oubli. Dans la troisième strophe, Verlaine progresse dans ses refus.

Il prend la « dimension » d'un homme et rejette Dieu.

Il refuse tout concept, il s'enferme dans son univers de non-croyant absolu.

Et quand de l'amour il dit : « ...

je voudrais bien qu'on ne m'en parlât plus », il se fait lui-même prisonnier de sa propre conception de la vie.

Il a tout refusé, même le plus grand, même le plus beau.

Il ne semble avoir aucun regret et pourtant, dans la quatrième strophe, son désespoir est réel ; il est là, qui le prend et le tourmente.

Il est prisonnier de son désespoir.

Il n'a plus aucune raison de vivre, les ayant toutes rejetées et, incroyant, il a « peur de mourir ». L'homme est là, dans sa position la plus effrayante : l'isolement. Si Verlaine exprime son indifférence ou sa froideur envers toute chose, il n'en reste pas moins poète.

Là, il a déjà trouvé son style. Chacun de ses vers est une signature et chaque terme la preuve, de plus en plus précise, de son génie. Son poème commence comme une diatribe.

Il s'exclame.

Le mot « Nature » en apostrophe donne un élan considérable à la première strophe.

Les négations se suivent et pourtant, elles ne réussissent pas à détruire la beauté des « champs nourriciers...

ou de « ...

l'écho vermeil des pastorales siciliennes...

».

Verlaine emploie des alexandrins.

Cette forme de versification, d'habitude plutôt lourde, ne garde ici que sa majesté.

L'emploi des rejets : « ...

et je renie (rejet) toute pensée...

» et de césures : « ... nourriciers, ni l'écho vermeil des pastorales...

», qui ne sont pas très traditionnels, fait de chaque strophe comme un éclat de voix.

Un rire amer peut-être ou l'accent las de l'homme déçu. Dans la deuxième strophe, les négations ne sont pas employées.

Le génie de Verlaine est là, presque cinglant.

Un terme suffit : « je ris... » Et dans ce rire, il y a peut-être l'écho d'un désespoir latent ou indicible. Verlaine emploie des termes qui valent, à eux seuls, des dizaines de négations : « J'abjure et je renie...

» Il s'enferme dans une sorte d'athéisme universel.

Il est un peu ce Dom Juan à qui Sganarelle disait : « Vous ne croyez donc en rien ? » Dans le dernier vers de la troisième strophe, on sent que sa solitude commence à lui peser.

Il a renié Dieu et l'on pourrait croire qu'il ne peut plus rien renier ensuite, mais là, le poète reste le poète qui place l'amour au-dessus de tout.

Et c'est dans son refus même de l'amour que l'on sent son attachement à la vie : nous entendons des regrets, nous saisissons le désespoir qui s'est rendu maître de lui.

En effet, au début de cette strophe, il affirme : « Je ne crois pas...

j'abjure et je renie...

» et dans le dernier vers, avant qu'il ne laisse libre cours à son angoisse, nous sentons sa faiblesse ; il dit : « ...

je voudrais bien...

» il ne peut plus rien affirmer.

La conception nihiliste de la vie l'emprisonne.

Il y a peut-être dans cette expression son dernier désir. Dans la quatrième strophe, l'expression garde un caractère assez romantique.

Le sujet est rejeté au dernier vers un peu comme chez Virgile.

Les deux termes du premier vers suffisent pour nous montrer l'ampleur et la gravité de la situation de cet homme.

L'antithèse « vivre » et « mourir » fait éclater l'angoisse du poète.

Il est dans une situation irréelle, inhumaine.

Et, bien sûr, reflet de son angoisse, de la métaphore du bateau sans amarre.

Son âme est « pareille au brick perdu » et esclave de ses concepts particuliers, l'homme n'espère plus en l'avenir ; l'homme ne peut plus espérer en l'avenir. Verlaine nous a défini là, une situation humainement intenable et effrayante.

Mais son génie écrase presque le cri d'angoisse qui monte de ces vers.

La poésie va plus haut que l'homme et que sa misère.

Si elle ne conjure rien, elle ôte son masque de terreur à une chose tout à fait humaine : l'ignorance ou peut-être, la peur de cette ignorance.

La poésie abolit la notion d'individu et dans ce « je », c'est l'humanité tout entière qui parle ou qui gémit. Dans ce poème, Verlaine éprouve deux sentiments très nets : le mépris et le désespoir.

Et il devient homme et c'est ainsi qu'il nous touche le plus profondément.. »

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