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Paul Fort (1872-1960), Ballades françaises

Extrait du document

Par les nuits d'été bleues où chantent les cigales, Dieu verse sur la France une coupe d'étoiles. Le vent porte à ma lèvre un goût du ciel d'été! Je veux boire à l'espace fraîchement argenté. L'air du soir est pour moi le bord de la coupe froide où, les yeux mi-fermés et la bouche goulue, je bois, comme le jus pressé d'une grenade, la fraîcheur étoilée qui se répand des nues. Couché sur un gazon dont l'herbe est encore chaude de s'être prélassée sous l'haleine du jour, oh! que je viderais, ce soir, avec amour, la coupe immense et bleue où le firmament rôde. Suis-je Bacchus ou Pan? Je m'enivre d'espace, et j'apaise ma fièvre à la fraîcheur des nuits. La bouche ouverte au ciel où grelottent les astres, que le ciel coule en moi! que je me fonde en lui! Paul Fort (1872-1960), Ballades françaises


« Par les nuits d'été bleues où chantent les cigales, Dieu verse sur la France une coupe d'étoiles.

Le vent porte à ma lèvre un goût du ciel d'été! Je veux boire à l'espace fraîchement argenté. L'air du soir est pour moi le bord de la coupe froide où, les yeux mi-fermés et la bouche goulue, je bois, comme le jus pressé d'une grenade, la fraîcheur étoilée qui se répand des nues. Couché sur un gazon dont l'herbe est encore chaude de s'être prélassée sous l'haleine du jour, oh! que je viderais, ce soir, avec amour, la coupe immense et bleue où le firmament rôde. Suis-je Bacchus ou Pan? Je m'enivre d'espace, et j'apaise ma fièvre à la fraîcheur des nuits.

La bouche ouverte au ciel où grelottent les astres, que le ciel coule en moi! que je me fonde en lui! Paul Fort (1872-1960), Ballades françaises Une poésie déguisée en prose A la lecture de ce texte nous éprouvons d'emblée une heureuse surprise.

Nous pensions qu'il s'agissait d'un texte en prose; or les rimes intérieures et le rythme nous font découvrir très vite qu'il s'agit en fait d'un poème dont l'auteur a masqué le caractère par un artifice d'écriture.

Les rimes sont mêmes assez riches (cigale/étoile, chaude/rôde, etc.).

A l'heure où tant de mystificateurs déguisent leur prose banale en poésie, en feignant d'écrire des vers qui ne sont en fait que des lambeaux de phrase, Paul Fort invente le délicat plaisir de dissimuler l'éclat de sa poésie sous le terne habit de la prose.

Mais plus cet habit est modeste, plus il met en valeur ce qu'il recouvre.

L'auteur semble se plier à la mode qui bannit toute poésie régulière mais ce n'est qu'une apparence qui ne trompe pas; il n'a rien abdiqué de son goût pour la versification classique.

Paul Fort est un poète clandestin. Progression de l'image principale C'est l'image de la coupe qui constitue le fil directeur du poème.

Au départ, elle est suggérée au poète par la forme de la voûte céleste.

Cette image s'enrichit et se complète peu à peu.

La présence de la coupe est de plus en plus concrète.

Le poète perçoit la froideur de ses bords dans l'air du soir puis la fraîcheur de son contenu; enfin la coupe acquiert sa couleur (bleue) et ses dimensions (immenses).

Dans les dernières lignes du poème, ayant rempli son office, elle disparaît.

Le poète boit maintenant directement à la source du ciel.

Cette image est aussi celle qui conduit le poème à sa signification : c'est parce que le firmament est une coupe que le poète est tenté de le boire, c'est parce qu'il le boit qu'il s'enivre de la nuit pleine d'étoiles. Un poème sensuel Ce sont les sensations qu'éprouve le poète qui composent pour lui l'image d'un ciel vu à la fois comme une coupe et comme un breuvage.

C'est la lourde chaleur du jour (« l'herbe encore chaude ») qui lui fait apprécier la fraîcheur du soir et déclenche sa soif; c'est la vue de la voûte étoilée, révélée par la nuit, qui lui inspire le désir de se désaltérer, d'une bouche « goulue », à la source du ciel; celle-ci a pour lui la saveur du « jus pressé d'une grenade »; elle apaisera sa « fièvre ».

Ce poème part donc de sensations physiques intenses et exprime une relation quasi biologique avec le monde. Rien d'abstrait ici, rien d'intellectuel.

Paul Fort est dans ce texte plus proche du Mallarmé de L'Après-midi d'un faune que de Lamartine. Un sentiment mystique Toutes ces sensations composent peu à peu un sentiment : le désir d'absorber en soi la substance même du ciel et de la nuit.

Rien de commun ici avec l'adoration; c'est au contraire un désir de possession, une avidité à la mesure du monde, une soif à la mesure de l'infini.

Boire à cette source trop riche provoque « l'ivresse », mais cette ivresse grandit celui qui l'éprouve; il n'est plus un homme, il est un dieu; il est Bacchus.

Cependant, au seuil de cette possession de la nuit par le poète il se produit une hésitation : est-ce le ciel qui va couler en lui ou n'est-ce pas plutôt le poète qui va se fondre dans le ciel? Au dernier moment l'auteur semble découvrir que la disproportion dimensionnelle entre le monde et lui-même lui interdira de boire l'infini.

C'est le poète au contraire qui se perdra en lui.

Il ne sera pas Bacchus, le Buveur divin, il sera Pan, celui qui se confond avec le Tout. Conclusion : un poème qui se situe entre le Parnasse et le symbolisme. Tous les éléments que nous avons notés convergent pour donner à ce poème son unité et son caractère.

La perfection formelle, la rigueur de la versification, l'éclat des adjectifs, la force et l'intensité du vocabulaire, la culture mythologique (le poète sait ce qui distingue Bacchus de Pan), la sensualité charnelle, l'image centrale du poème qui est à la fois un objet d'art (la coupe) et l'univers dans sa splendeur minérale (la nuit étoilée), le sentiment mystique qui couronne l'évolution du poème, tout cela évoque irrésistiblement la perfection formelle, la sensualité et le paganisme d'un Valéry.

Ce texte est un poème à la fois parnassien et symboliste.. »

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