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Pascal Mérigeau, Quand Angèle fut seule..., 1983

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Pascal Mérigeau, Quand Angèle fut seule..., 1983 Bien sûr, tout n'avait pas toujours marché comme elle l'aurait souhaité pendant toutes ces années; mais tout de même, cela lui faisait drôle de se retrouver seule, assise à la grande table en bois. On lui avait pourtant souvent dit que c'était là le moment le plus pénible, le retour du cimetière. Tout s'était bien passé, tout se passe toujours bien d'ailleurs. L'église était pleine. Au cimetière, il lui avait fallu se faire embrasser par tout le village. Jusqu'à la vieille Thibault qui était là, elle qu'on n'avait pas vue depuis un an au moins. Depuis l'enterrement d'Émilie Martin en fait. Et encore, y était-elle seulement, à l'enterrement d'Émilie Martin ? Impossible de se souvenir. Par contre, Angèle aurait sans doute pu citer le nom de tous ceux qui étaient là aujourd'hui. André, par exemple, qui lui faisait tourner la tête, au bal, il y a bien quarante ans de cela. C'était avant que n'arrive Baptiste. Baptiste et ses yeux bleus, Baptiste et ses chemises à fleurs, Baptiste et sa vieille bouffarde, qu'il disait tenir de son père, qui lui-même... En fait ce qui lui avait déplu aujourd'hui, ç'avait été de tomber nez à nez avec Germaine Richard, à la sortie du cimetière. Celle-là, à soixante ans passés, elle avait toujours l'air d'une catin. Qu'elle était d'ailleurs. Angèle se leva. Tout cela était bien fini maintenant. Il fallait que la mort quitte la maison. Les bougies tout d'abord. Et puis les chaises, serrées en rang d'oignon le long du lit. Ensuite, le balai. Un coup d'œil au jardin en passant. Non, décidément, il n'était plus là, penché sur ses semis, essayant pour la troisième fois de la journée de voir si les radis venaient bien. Il n'était pas non plus là-bas, sous les saules. Ni même sous le pommier, emplissant un panier. Vraiment, tout s'était passé très vite, depuis le jour où en se réveillant, il lui avait dit que son ulcère recommençait à le taquiner. Il y était pourtant habitué, depuis le temps. Tout de même, il avait bientôt fallu faire venir le médecin. Mais celui, il le connaissait trop bien pour s'inquiéter vraiment. D'ailleurs, Baptiste se sentait déjà un peu mieux... Trois semaines plus tard, il faisait jurer à Angèle qu'elle ne les laisserait pas l'emmener à l'hôpital. Le médecin était revenu. Il ne comprenait pas. Rien à faire, Baptiste, tordu de douleur sur son lit, soutenait qu'il allait mieux, que demain, sans doute, tout cela serait déjà oublié. Mais, quand il était seul avec elle, il lui disait qu'il ne voulait pas mourir à l'hôpital. Il savait que c'était la fin, il avait fait son temps. La preuve, d'autres, plus jeunes, étaient partis avant lui... Il aurait seulement bien voulu tenir jusqu'à la Saint-Jean. Mais cela, il ne le disait pas. Angèle le savait, et cela lui suffisait. La Saint-Jean il ne l'avait pas vue cette année. Le curé était arrivé au soir, Baptiste était mort au petit jour. Le mal qui lui sciait le corps en deux avait triomphé. C'était normal.

« Pascal Mérigeau, Quand Angèle fut seule..., 1983. Bien sûr, tout n'avait pas toujours marché comme elle l'aurait souhaité pendant toutes ces années; mais tout de même, cela lui faisait drôle de se retrouver seule, assise à la grande table en bois.

On lui avait pourtant souvent dit que c'était là le moment le plus pénible, le retour du cimetière.

Tout s'était bien passé, tout se passe toujours bien d'ailleurs.

L'église était pleine.

Au cimetière, il lui avait fallu se faire embrasser par tout le village.

Jusqu'à la vieille Thibault qui était là, elle qu'on n'avait pas vue depuis un an au moins.

Depuis l'enterrement d'Émilie Martin en fait.

Et encore, y était-elle seulement, à l'enterrement d'Émilie Martin ? Impossible de se souvenir.

Par contre, Angèle aurait sans doute pu citer le nom de tous ceux qui étaient là aujourd'hui.

André, par exemple, qui lui faisait tourner la tête, au bal, il y a bien quarante ans de cela.

C'était avant que n'arrive Baptiste.

Baptiste et ses yeux bleus, Baptiste et ses chemises à fleurs, Baptiste et sa vieille bouffarde, qu'il disait tenir de son père, qui lui-même...

En fait ce qui lui avait déplu aujourd'hui, ç'avait été de tomber nez à nez avec Germaine Richard, à la sortie du cimetière.

Celle-là, à soixante ans passés, elle avait toujours l'air d'une catin. Qu'elle était d'ailleurs. Angèle se leva.

Tout cela était bien fini maintenant.

Il fallait que la mort quitte la maison.

Les bougies tout d'abord.

Et puis les chaises, serrées en rang d'oignon le long du lit.

Ensuite, le balai.

Un coup d'œil au jardin en passant.

Non, décidément, il n'était plus là, penché sur ses semis, essayant pour la troisième fois de la journée de voir si les radis venaient bien.

Il n'était pas non plus là-bas, sous les saules.

Ni même sous le pommier, emplissant un panier.

Vraiment, tout s'était passé très vite, depuis le jour où en se réveillant, il lui avait dit que son ulcère recommençait à le taquiner.

Il y était pourtant habitué, depuis le temps.

Tout de même, il avait bientôt fallu faire venir le médecin.

Mais celui, il le connaissait trop bien pour s'inquiéter vraiment.

D'ailleurs, Baptiste se sentait déjà un peu mieux...

Trois semaines plus tard, il faisait jurer à Angèle qu'elle ne les laisserait pas l'emmener à l'hôpital.

Le médecin était revenu.

Il ne comprenait pas.

Rien à faire, Baptiste, tordu de douleur sur son lit, soutenait qu'il allait mieux, que demain, sans doute, tout cela serait déjà oublié.

Mais, quand il était seul avec elle, il lui disait qu'il ne voulait pas mourir à l'hôpital.

Il savait que c'était la fin, il avait fait son temps.

La preuve, d'autres, plus jeunes, étaient partis avant lui...

Il aurait seulement bien voulu tenir jusqu'à la Saint-Jean.

Mais cela, il ne le disait pas.

Angèle le savait, et cela lui suffisait.

La Saint-Jean il ne l'avait pas vue cette année.

Le curé était arrivé au soir, Baptiste était mort au petit jour.

Le mal qui lui sciait le corps en deux avait triomphé.

C'était normal. ** Pascal Mérigeau est un critique de cinéma et écrivain né en 1953 dans les Deux-Sèvres.

Il a travaillé dans de nombreux journaux, dont Le Point et Le Monde.

Il officie actuellement au Nouvel Observateur et participe à la sélection des films pour le Festival de Cannes. Il est l’auteur de plusieurs livres et nouvelles, dont Quand Angèle fut seule, écrite en 1983. Le texte à étudier est l’incipit de cette très courte nouvelle. NB : Nouvelle => récit généralement bref, de construction dramatique, et présentant peu de personnage.

Une nouvelle est moins long qu’un roman, est centrée sur une seule intrigue… I- Après les funérailles Incipit de nouvelle A- Personnages • Récit centré autour d’un personnage féminin.

Au début du texte, le narrateur ne donne pas son identité.

On a juste la marque de 3e personne du singulier au féminin : « elle l'aurait souhaité ». Au 2e §, on a son prénom « Angèle » qui renvoie au titre. - « pendant toutes ces années » : on peut donc conclure que le personnage principal n’est pas une jeune personne… Cf.

« il y a bien quarante ans de cela » => personnage féminin qui est en effet âgé. • Le narrateur s’attache à raconter les pensées du personnage. Discours indirect libre : « Et encore, y était-elle seulement, à l'enterrement d'Émilie Martin ? » => le narrateur nous fait pénétrer dans les pensées d’Angèle. • Autres personnages évoqués, celle qui vient d’être enterrée « Émilie Martin » ; « la vieille Thibault »…. »

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