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NÉAERE (fragment) - Idylles.

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NÉAERE (fragment) - Idylles. O! Soit que l'astre pur des deux frères d'Hélène Calme sous ton vaisseau la vague ionienne, Soit qu'aux bords de Paestum, sous ta soigneuse main, Les roses deux fois l'an couronnent ton jardin, Au coucher du soleil, si ton âme attendrie Tombe en une muette et molle rêverie, Alors, mon Clinias, appelle, appelle-moi, Je viendrai, Clinias, je volerai vers toi. Mon âme vagabonde à travers le feuillage Frémira. Sur les vents ou sur quelque nuage Tu la verras descendre, ou du sein de la mer S'élevant comme un songe, étinceler dans l'air; Et ma voix, toujours tendre et doucement plaintive, Caresser, en fuyant, ton oreille attentive.

« NÉAERE (fragment) - Idylles. O! Soit que l'astre pur des deux frères d'Hélène Calme sous ton vaisseau la vague ionienne, Soit qu'aux bords de Paestum, sous ta soigneuse main, Les roses deux fois l'an couronnent ton jardin, Au coucher du soleil, si ton âme attendrie Tombe en une muette et molle rêverie, Alors, mon Clinias, appelle, appelle-moi, Je viendrai, Clinias, je volerai vers toi. Mon âme vagabonde à travers le feuillage Frémira.

Sur les vents ou sur quelque nuage Tu la verras descendre, ou du sein de la mer S'élevant comme un songe, étinceler dans l'air; Et ma voix, toujours tendre et doucement plaintive, Caresser, en fuyant, ton oreille attentive. Situation du passage. Néaere, près de mourir, jette un dernier adieu à son amant Clinias : les noms sont grecs, comme le genre auquel appartient le poème; l'inspiration est mélancolique et tendre.

Après avoir prié toutes les forces de la nature de rappeler son amour à Clinias, Néaere adresse à son amant un pathétique appel. Le texte. La phrase poétique est construite comme une période oratoire : elle s'élève lentement, suspendant la pensée, dans une série de subordonnées (soit que...

soit que...

si...) dont le mouvement est nonchalant et rêveur, jusqu'à l'impérieuse et pathétique apostrophe (alors, mon Clinias, appelle, appelle-moi...); le rythme large et souple fait songer au rythme des poètes latins, en particulier de Virgile. Néaere évoque d'abord Clinias en voyage sur la mer, en deux vers pleins de souvenirs antiques : O! soit que l'astre pur des deux frères d'Hélène/ Calme sous ton vaisseau la vague ionienne....

Les deux frères d'Hélène, ce sont les Dioscures, Castor et Pollux, qui, changés en constellation, reçurent de Poséidon le pouvoir de calmer les flots et les vents; le vers d'Horace, dans l'Ode à Virgile, « sic fratres Helenae, lucida sidera », est certainement venu à la mémoire du poète, et les mots « lucida sidera » sont à peu près traduits par l'astre pur, car l'adjectif pur, qui vibre harmonieusement à l'hémistiche, évoque évidemment une qualité de la lumière; quant à la vague ionienne, c'est un tour qui semble calqué sur le grec, pour désigner les flots de la mer d'Ionie.

Puis Chénier abandonne Horace et l'Ionie pour évoquer; avec Virgile, une ville fleurie de la Calabre; Néaere, dans un nouveau mouvement, imagine Clinias dans son jardin, comme le vieillard de Tarente au livre IV des Géorgiques : Soit qu'aux bords de Paestum, sous ta soigneuse main, I Les refees deux fois l'an couronnent ton jardin....

Le poète français s'abandonne au caprice de ses souvenirs antiques, et Virgile avant lui avait célébré ces champs de roses de Paestum qui fleurissent deux fois l'an, « biferique rosaria Paesti ».

Cependant, à la couleur antique se mêlent des élégances pseudo-classiques, aujourd'hui démodées : sous ta soigneuse main, couronnent ton jardin; elles nous rappellent que Chénier est un poète du XVIII e siècle. Au moment où l'on croit la montée de la phrase terminée, elle s'élève encore; mais il y a rupture dans le mouvement, car la nature de la proposition a changé : si ton âme attendrie..., et aussi l'indication de temps, au coucher du soleil, précède la subordination qui intervient au milieu et non plus au début du vers.

Cette rupture donne à la phrase une allure souple, dont l'effet est très agréable pour l'oreille : Au coucher du soleil, si ton âme attendrie / Tombe en une muette et molle rêverie; toutes les syllabes de ces deux vers concourent à un effet d'harmonie mélancolique et douce, et aussi le choix de la rime en ie, l'allitération muette et molle rêverie.

Après cette évocation rêveuse, voici l'invocation ardente : Alors, mon Clinias, appelle, appelle-moi, / Je viendrai, Clinias, je volerai vers toi.

Le rythme devient très coupé, le verbes nombreux donnent au tour de la vivacité; la répétition lyrique (mon Clinias, appelle, appelle-moi...

je viendrai, Clinias, je volerai...) rend le mouvement passionné et pathétique; et ce dernier procédé se rencontre aussi fréquemment chez les poètes anciens.

Chez eux aussi Chénier pouvait trouver des exemples de rejets hardis, comme celui du verbe frémira : Mon âme vagabonde à travers le feuillage Frémira.

Les vers suivants évoquent les apparitions de l'âme de Néaere et se font suaves et légers comme une ombre : ...Sur les vents ou sur quelque nuage! Tu la verras descendre, ou du sein de la mer! S'élevant comme un songe, étinceler dans l'air; la fin de vers du sein de la mer, notamment, se soude à l'hémistiche suivant pour donner le sentiment d'une montée légère, aboutissant harmonieusement au mot songe, dont la sonorité se prolonge et suspend un moment la phrase à la césure.

Quant aux deux derniers vers, ils.

sont associés de façon assez incohérente au mouvement précédent (tu verras...

ma voix...

caresser) par une négligence peut-être voulue, car les poètes anciens donnaient eux-mêmes l'exemple des libertés avec la grammaire; et le poème se termine par une expression pseudo-classique, oreille attentive, mais dans la note musicale qui fait l'unité du poème : caresser en fuyant ton oreille attentive. Conclusion L'imitation des Anciens.

Chénier sent et aime profondément les beautés des ouvrages grecs et latins; son imagination en est tellement imprégnée que ses traductions ressuscitent l'expression, et non seulement l'expression, mais aussi le tour, la grâce antiques.

Sa mémoire caresse sans cesse de beaux souvenirs, celui des astres frères d'Hélène, celui des roses de Paestum; sa plume retrouve le mouvement de la phrase virgitienne, et il transpose dans le cadre d'une idylle à la maniée grecque un cri d'adieu lyrique.

Grâce à ses modèles, par-delà le spirituel et prosaïque XVIIIe siècle, il retrouve la poésie; et, innovant par rapport à ses devanciers, il se permet des audaces, comme le rejet, qui le feront aimer des romantiques. Les élégances démodées.

Pourtant Chénier demeure de son siècle; et il a parfois des tours et des procédés qui trahissent l'influence des pseudo-classiques.

On ne peut comprendre, sans les signaler, la nuance réelle de sa poésie.

Chez ce contemporain de Delille, le vers, en dehors des rares libertés dues aux Anciens, a une grande régularité; l'adjectif y accompagne fidèlement le substantif comme dans les plus sages de nos alexandrins classiques.

Mais le sens profond de la poésie est si fort chez André Chénier que cette part de convention disparaît dans l'ensemble et s'y noie. L'harmonie.

La valeur de ces vers tient à leur beauté musicale, au mouvement de la phrase, à la douceur des rythmes et des syllabes.

C'est là que résident, pour un lecteur moderne, l'originalité et le vrai mérite de Chénier : il a une musique à lui, un sentiment de l'harmonie qui lui est propre; son vers a quelque chose de fluide, de tendre et de brillant qui le fait facilement reconnaître.

Sur ce point, l'analyse est impuissante; c'est à l'oreille d'apprécier.. »

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