Devoir de Français

Musset, Lorenzaccio, Acte I, scène 6.

Extrait du document

Musset, Lorenzaccio, Acte I, scène 6. CATHERINE : Le soleil commence à baisser. De larges bandes de pourpre traversent le feuillage, et la grenouille fait sonner sous les roseaux sa petite cloche de cristal. C'est une singulière chose que toutes les harmonies du soir avec le bruit lointain de cette ville. MARIE : Il est temps de rentrer ; noue ton voile autour de ton cou. CATHERINE : Pas encore, à moins que vous n'ayez froid. Regardez, ma mère chérie ; que le ciel est beau ! Que tout cela est vaste et tranquille ! comme Dieu est partout ! Mais vous baissez la tête, vous êtes inquiète depuis ce matin. MARIE : Inquiète, non, mais affligée. N'as-tu pas entendu répéter cette fatale histoire de Lorenzo ? Le voilà la fable de Florence. CATHERINE : O ma mère ! la lâcheté n'est point un crime, le courage n'est pas une vertu, pourquoi la faiblesse serait-elle blâmable ? Répondre des battements de son cœur est un triste privilège. Et pourquoi cet enfant n'aurait-il pas le droit que nous avons toutes, nous autres femmes ? Une femme qui n'a peur de rien n'est pas aimable, dit-on. MARIE : Aimerais-tu un homme qui a peur ? Tu rougis, Catherine ; Lorenzo est ton neveu, mais figure-toi qu'il s'appelle de tout autre nom, qu'en penserais-tu ? Quelle femme voudrait s'appuyer sur son bras pour monter à cheval ? Quel homme lui serrerait la main ? CATHERINE : Cela est triste, et cependant ce n'est pas de cela que je le plains. Son cœur n'est peut-être pas celui d'un Médicis ; mais, hélas ! c'est encore moins celui d'un honnête homme. MARIE : N'en parlons pas, Catherine : – il est assez cruel pour une mère de ne pouvoir parler de son fils. CATHERINE : Ah ! cette Florence ! c'est là qu'on l'a perdu ! N'ai-je pas vu briller quelquefois dans ses yeux le feu d'une noble ambition ? sa jeunesse n'a-t-elle pas été l'aurore d'un soleil levant ? Et souvent encore aujourd'hui il me semble qu'un éclair rapide... Je me dis malgré moi que tout n'est pas mort en lui. MARIE : Ah ! tout cela est un abîme ! Tant de facilité, un si doux amour de la solitude ! Ce ne sera jamais un guerrier que mon Renzo, disais-je en le voyant rentrer de son collège avec ses gros livres sous le bras ; mais un saint amour de la vérité brillait sur ses lèvres et dans ses yeux noirs ; il lui fallait s'inquiéter de tout, dire sans cesse : "Celui-là est pauvre, celui-là est ruiné ; comment faire ?" Et cette admiration pour les grands hommes de son Plutarque ! Catherine, Catherine, que de fois je l'ai baisé au front en pensant au père de la patrie ! CATHERINE : Ne vous affligez pas. MARIE : Je dis que je ne veux pas parler de lui, et j'en parle sans cesse. Il y a de certaines choses, vois-tu, les mères ne s'en taisent que dans le silence éternel. Que mon fils eût été un débauché vulgaire, que le sang des Soderini eût été pâle dans cette faible goutte tombée de mes veines, je ne me désespérerais pas ; mais j'ai espéré et j'ai eu raison de le faire. Ah ! Catherine, il n'est même plus beau ; comme une fumée malfaisante, la souillure de son cœur lui est montée au visage. Le sourire, ce doux épanouissement qui rend la jeunesse semblable aux fleurs, s'est enfui de ses joues couleur de soufre, pour y laisser grommeler une ironie ignoble et le mépris de tout. CATHERINE : Il est encore beau quelquefois dans sa mélancolie étrange. MARIE : Sa naissance ne l'appelait-elle pas au trône ? N'aurait-il pas pu y faire monter un jour avec lui la science d'un docteur, la plus belle jeunesse du monde, et couronner d'un diadème d'or tous mes songes chéris ? Ne devais-je pas m'attendre à cela ? Ah ! Cattina, pour dormir tranquille, il faut n'avoir jamais fait certains rêves. Cela est trop cruel d'avoir vécu dans un palais de fées, où murmuraient les cantiques des anges, de s'y être endormie, bercée par son fils et de se réveiller dans une masure ensanglantée, pleine de débris d'orgie et de restes humains, dans les bras d'un spectre hideux qui vous tue en vous appelant encore du nom de mère. CATHERINE : Des ombres silencieuses commencent à marcher sur la route. Rentrons Marie, tous ces bannis me font peur. MARIE : Pauvres gens ! ils ne doivent que faire pitié ! Ah ! ne puis-je voir un seul objet qu'il ne m'entre une épine dans le cœur ? Ne puis-je plus ouvrir les yeux ? Hélas ! ma Cattina, ceci est encore l'ouvrage de Lorenzo. Tous ces pauvres bourgeois ont eu confiance en lui ; il n'en est pas un parmi tous ces pères de famille chassés de leur patrie, que mon fils n'ait trahi. Leurs lettres, signées de leurs noms, sont montrées au duc. C'est ainsi qu'il fait tourner à un infâme usage jusqu'à la glorieuse mémoire de ses aïeux. Les républicains s'adressent à lui comme à l'antique rejeton de leur protecteur ; sa maison leur est ouverte, les Strozzi eux-mêmes y viennent. Pauvre Philippe ! il y aura une triste fin pour tes cheveux gris ! Ah ! ne puis-je voir une fille sans pudeur, un malheureux privé de sa famille, sans que cela ne me crie : "Tu es la mère de nos malheurs !" Quand serai-je là ? (Elle frappe la terre.) CATHERINE : Ma pauvre mère, vos larmes me gagnent. (Elles s'éloignent.)

Liens utiles