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Montesquieu, Lettres persanes, lettre CX Lettre 110

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Montesquieu, Lettres persanes, lettre CX Lettre 110 Rica à***. Le rôle d'une jolie femme est beaucoup plus grave que l'on ne pense: il n'y a rien de plus sérieux que ce qui se passe le matin à sa toilette, au milieu de ses domestiques; un général d'armée n'emploie pas plus d'attention à placer sa droite, ou son corps de réserve, qu'elle en met à poster une mouche, qui peut manquer, mais dont elle espère ou prévoit le succès. Quelle gêne d'esprit, quelle attention pour concilier sans cesse les intérêts de deux rivaux, pour paraître neutre à tous les deux, pendant qu'elle est livrée à l'un et à l'autre, et se rendre médiatrice sur tous les sujets de plainte qu'elle leur donne! Quelle occupation pour faire succéder et renaître les parties de plaisir, et prévenir tous les accidents qui pourraient les rompre! Avec tout cela, la plus grande peine n'est pas de se divertir; c'est de le paraître: ennuyez-les tant que vous voudrez, elles vous le pardonneront, pourvu que l'on puisse croire qu'elles se sont réjouies. Je fus, il y a quelques jours, d'un souper que des femmes firent à la campagne. Dans le chemin, elles disaient sans cesse: "Au moins, il faudra bien nous divertir." Nous nous trouvâmes assez mal assortis et, par conséquent, assez sérieux. "Il faut avouer, dit une de ces femmes, que nous nous divertissons bien: il n'y a pas aujourd'hui dans Paris une partie si gaie que la nôtre." Comme l'ennui me gagnait, une femme me secoua et me dit: "Eh bien! ne sommes-nous pas de bonne humeur? - Oui, lui répondis-je en bâillant; je crois que je crèverai à force de rire." Cependant la tristesse triomphait toujours des réflexions, et, quant à moi, je me sentis conduit, de bâillement en bâillement, dans un sommeil léthargique, qui finit tous mes plaisirs. De Paris, le 11 de la lune de Maharram 1718.

« Montesquieu, Lettres persanes, lettre CX Lettre 110 Rica à***. « Le rôle d'une jolie femme es t beauc o u p p l u s grave que l'on ne pens e: il n'y a rien de plus s érieux que c e qui s e p a s s e le matin à s a toilette, au milieu de s e s d o m e s tiques ; un général d'armée n'emploie pas plus d'attention à plac er s a droite, ou s on c orps de rés erve, qu'elle en met à pos ter une mouc he, qui peut manquer, mais dont elle es père ou prévoit le s u c c è s .

Quelle gêne d'es prit, quelle attention pour c o n c ilier s a n s c e s s e l e s intérêts de deux rivaux, pour paraître neutre à tous les d e De Paris , le 11 de la lune de M aharram 1718. Dans ce texte appartenant aux Lettres Persanes, Montesquieu donne la parole au compagnon d’Uzbek, Rica.

Ce dernier est l’âme positive et rayonnante des Lettres Persanes, celui par qui le rire advient le plus souvent, celui qui pose un regard a la fois ironique et plein d’humour sur la société française qu’il est venu étudier depuis sa Perse natale.

Dans notre lettre, la cent dixième de ce roman épistolaire, Rica pose à nouveau un regard plein d’humour et de tendresse sur la société française, et tout particulièrement sur les femmes de Paris.

Celles-ci sont croquées avec beaucoup de tendresse et un vif sentiment d’amusement, par ce jeune homme plein de vie et de charme qu’est Rica. Cependant, il fau bien noter que derrière l’humour et la tendresse, l’ironie et la moquerie délicate, ce sont en réalité des enjeux beaucoup plus graves et sérieux qui se jouent.

En effet, Rica évoqué à demi-mots des caractéristiques inhérentes au mode de vie occidental du XVIIIe siècle, en exprimant implicitement son rejet de celles-ci.

Par exemple, nous pouvons considérer la récurrence du terme « divertissement » dans le texte comme un écho de la théorie Pascalienne du divertissement.

C’est en effet la vacuité de l’existence des femmes Parisiennes que Rica dénonce, ainsi que leur immoraliste. Etudiant ce texte, nous nous demanderons donc dans quelle mesure l’ironie et l’humour sont à la fois les moyens et les masques d’une dénonciation implicite du mode de vie des femmes parisiennes au XVIIIe siècle. Si dans un premier temps nous pouvons étudier les caractéristiques de la Lettre qui nous est donne a étudier, lettre singulière par sa forme et son évolution, nous considérerons ensuite les accents Pascaliens de cette Lettre qui dénonce le « divertissement » des femmes Parisiennes, avant d’étudier plus globalement la fonction critique et la « révolution sociologique » provoquée par ce texte. I. Une lettre singulière par son statut et son évolution a.

Une lettre qui n’utilise guère les marqueurs communs de l’épistolarité Dans un premier temps, nous pouvons nous étonner de ne guère remarquer dans ce texte les marqueurs propres de l’épistolarité.

En effet, la lettre écrite par Rica ne comprend aucun des deux seuils propres a cette pratique d’écriture, qui sont une entrée en matière annonçant le nom du destinataire (par exemple : « Cher… ») et une prise de congé du destinataire.

En effet, la lettre commence par cette phrase : « Le rôle d'une jolie femme est beaucoup plus grave que l'on ne pense: il n'y a rien de plus sérieux que ce qui se passe le matin à sa toilette, au milieu de ses domestiques; un général d'armée n'emploie pas plus d'attention à placer sa droite, ou son corps de réserve, qu'elle en met à poster une mouche, qui peut manquer, mais dont elle espère ou prévoit le succès ». Et elle s’achève ainsi : « Cependant la tris tes s e triomphait toujours d e s réflexions , et, quant à moi, je me s entis c onduit, de bâillement en bâillement, dans un s ommeil léthargique, qui finit tous m e s p l a i s irs ». De Paris , le 11 de la lune de M aharram 1718 ». De cette constatation nous pouvons tirer l’idée que la lettre de Rica n’est pas isolée comme une entité propre et autonome, mais s’inscrit au contraire dans une suite, une continuité, qui est celle du roman épistolaire.

En effet, cette lettre de Rica n’est pas la seule du recueil, elle s’inscrit dans une suite qui comprend notamment la lettre LII, ou Rica écrit a Uzbek et décrit le groupe des femmes qui sont terrifiées par leur âge et l’idée de la mort.

Notre lettre s’inscrit donc dans une continuité thématique avec le reste du recueil des Lettres Persanes. b.

Une lettre à l’évolution révélatrice Par delà l’étude de la forme, c’est l’évolution de la lettre de Rica qui peut nous intéresser.

En effet, le début de la lettre n’est pas sans avoir une tonalite humoristique et légère très marquée.

Montesquieu reprend l’assimilation topique entre l’art de la guerre et l’art de l’amour en comparant une jolie femme à sa toilette à un général en compagne.

Cependant, nous pouvons trouver que la tendresse globale accordée aux femmes, l’évocation gentiment humoristique fait place à une critique plus directe de la vacuité au sein de leur existence.

En effet, la fin du texte dénonce plus clairement le ridicule qui est le leur, leur terreur de l’ennui, leur souci de s’en divertir (nous verrons a quel point ce terme et sa réitération est important pour entendre les enjeux du texte) et leur préoccupation du paraitre (en effet, les femmes ne se soucient pas de s’ennuyer effectivement a partir du moment où l’on pourra croire qu’elles se sont amusées).

Cette évolution, cet infléchissement de la lettre vers une dénonciation plus explicite du comportement des femmes légitime une lecture pascalienne de cette lettre, comme nous le verrons dès à présent. II. Une lettre aux accents Pascaliens a.

L’ironie comme moyen pour faire ressortir le ridicule des femmes de Paris Nous commencerons par étudier le procédé critique le plus prégnant de ce texte : l’ironie.

En effet, Montesquieu ne cesse d’en faire usage dans ce texte, en montrant comment les femmes de Paris sont prisonnières du souci du paraitre et de leur réputation.

En effet, nous pouvons voir apparaitre cette idée dans le passage suivant : « Avec tout cela, la plus grande peine n'est pas de se divertir; c'est de le paraître: ennuyez-les tant que vous voudrez, elles vous le pardonneront, pourvu que l'on puisse croire qu'elles se sont réjouies ». Montesquieu utilise en effet l’ironie pour montrer ce qu’il y a de vain dans le comportement des femmes parisiennes, qui cherchent avant tout à faire croire qu’elles se divertissent, avant même de chercher à se divertir effectivement.

L’un des procédés de l’ironie est l’antiphrase, utilise par Rica dans sa dernière réplique : "Eh bien! Ne sommes-nous pas de bonne humeur? - Oui, lui répondis-je en bâillant; je crois que je crèverai à force de rire." Loin de « crever de rire », Rica s’ennuie a périr et refuse de s’abuser lui-même comme le font les femmes françaises en prétendant désespérément qu’elles s’amusent. b.

Le désir féminin de divertissement La notion au cœur de ce texte et du propos de Montesquieu est sans doute celle du divertissement.

Loin d’être neutre, ce terme est au contraire profondément connote en raison du traitement pascalien de cette notion.

En effet, pour Pascal, le divertissement est le comportement de l’individu qui évite la pensée de Dieu et de l’après vie, qui dissimule le néant que chaque être humain reconnait en lui-même, par des activités vaines et futiles (relations sociales, jeu, théâtre…) détournant sa pensée de la mort qui l’attend.

Montesquieu emploie avec insistance le terme de « divertissement » dans le texte qui nous occupe, notamment dans le passage suivant : « Dans le chemin, elles disaient sans cesse: "Au moins, il faudra bien nous divertir." Nous nous trouvâmes assez mal assortis et, par conséquent, assez sérieux.

"Il faut avouer, dit une de ces femmes, que nous nous divertissons bien: il n'y a pas aujourd'hui dans Paris une partie si gaie que la nôtre." ». En effet, c’est bien à une critique du « divertissement » que Montesquieu se livre, en montrant que les femmes parisiennes se livrent à des activités futiles qui n’arrivent pas même à cacher l’ennui qui les accable réellement. III. Une lettre aux accents critiques pour la société française a.

Le processus de « révolution sociologique » Car il faut bien comprendre qu’en dépit de son humour et de sa légèreté, le texte de Montesquieu s’inscrit dans une critique générale de la civilisation européenne, dont Roger Caillois a montre dans une préface célèbre aux Lettres Persanes qu’elle pouvait être qualifiée de « Révolution sociologique ».

L’idée de Caillois est en effet que le regard Persan pose sur la société européenne, et tout particulièrement française, permet d’en noter les ridicules et les travers.

En effet, dans la mesure où Uzbek et Rica sont étrangers a la France, ils peuvent percevoir ce que les français sont incapables de remarquer, car ils n’ont pas eu toute leur vie pour s’accoutumer a des préjuges et considérer l’état contemporain de leur société comme l’état « normal » des choses.

Rica s’inscrit dans cette démarche dans notre texte, puisqu’il montre comment les femmes françaises mènent une vie dissipée et vaine. b.

Une critique implicite de l’immoralité des femmes françaises Par conséquent, nous pouvons lire ce texte, en dépit de sa légèreté et de son humour, comme une critique farouche des femmes françaises.

En effet, celles-ci sont non seulement capables de s’abuser sur le néant de leur vie et de s’abimer dans l’ennui (« Cependant la tristesse triomphait toujours des réflexions, et, quant à moi, je me sentis conduit, de bâillement en bâillement, dans un sommeil léthargique, qui finit tous mes plaisirs ».) mais également de faire preuve de la plus complète immoralité.

C’est notamment ce passage qui la dénonce : « Quelle gêne d'esprit, quelle attention pour concilier sans cesse les intérêts de deux rivaux, pour paraître neutre à tous les deux, pendant qu'elle est livrée à l'un et à l'autre, et se rendre médiatrice sur tous les sujets de plainte qu'elle leur donne! ». Rica montre en effet que les femmes galantes de Paris s’offrent à deux hommes en même temps et s’ingénient à les réconcilier alors qu’elles sont responsables de leur mésentente.

Ce comportement ne peut qu’apparaitre immoral, tout particulièrement à un Turc qui a érige le sérail en mode de contrôle de la femme.

Ce texte a en définitive une importance dans l’économie générale des Lettres Persanes, dans la mesure où il introduit le thème de la duplicité féminine, dont Uzbek sera précisément la victime a la fin de l’œuvre. Conclusion Dans un premier temps, nous avons vu que nous avions affaire a une lettre singulière par sa forme et son évolution.

Nous avons étudie ensuite la dimension pascalienne de ce texte, avec la critique du « divertissement » des femmes françaises.

Enfin, nous avons montre comment cette lettre s’inscrivait dans le procède de « révolution sociologique » des Lettres Persanes, en critiquant l’immoralité des femmes françaises perçue par le regard d’un Turc.

Cependant, il ne faut sans doute pas lire cette lettre en particulier et les Lettres Persanes en général comme l’expression d’un discours uniquement critique a l’égard de la société européenne, érigeant en modèle par contre coup la société Persane.

Montesquieu montre bien, notamment à la fin de l’œuvre, quelle hypocrisie et quels défauts sont inhérents au mode de vie oriental, qui n’a donc pas pour rôle d’incarner un exemple absolu présente aux Européens.. »

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