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Michelet, Histoire de France.

Extrait du document

Je ne tardai pas à m'apercevoir dans le silence apparent de ces galeries, qu'il y avait un mouvement, un murmure, qui n'était pas de la mort. Ces papiers, ces parchemins laissés là depuis longtemps ne demandaient pas mieux que de revenir au jour [...]. D'abord les familles et les fiefs, blasonnés dans leur poussière, réclamaient contre l'oubli. Les provinces se soulevaient, alléguant qu'à tort la centralisation avait cru les anéantir. Les ordonnances de nos rois prétendaient n'avoir point été effacées par la multitude des lois modernes... Tous vivaient et parlaient, ils entouraient l'auteur d'une armée à cent langues qui faisait taire rudement la grande voix de la République et de l'Empire. Doucement, messieurs les morts, procédons par ordre, s'il vous plaît. Tous vous avez droit sur l'histoire. L'individuel est beau comme individuel, le général comme général. Le Fief a raison, la Monarchie davantage, encore plus la République!... La province doit revivre... Elle doit reparaître, mais à condition de permettre que, la diversité s'effaçant peu à peu, l'identification du pays succède à son tour. Revive la monarchie, revive la France! Qu'un grand essai de classification serve une fois de fil en ce chaos. Une telle systématisation servira, quoique imparfaite. Dût la tête s'emboîter mal aux épaules, la jambe s'agencer mal à la cuisse, c'est quelque chose de revivre. Et à mesure que je soufflais sur leur poussière, je les voyais se soulever. Ils tiraient du sépulcre, qui la main, qui la tête, comme dans le Jugement dernier de Michel-Ange, ou dans la Danse des morts.

Michelet, Histoire de France.  

Nommé en 1831 chef de la section historique aux Archives, Michelet rappelle ici le souvenir de son premier contact avec ces « catacombes manuscrites ». Que vous apprennent ces réflexions sur sa conception de l'histoire et que vous révèlent-elles sur son tempérament d'écrivain? INTRODUCTION Ces lignes nous apportent une synthèse de la conception originale que Michelet se faisait de l'histoire. L'exposé de ces idées très générales, conduit d'une façon fort personnelle, nous permet de retrouver les attitudes, les accents et les goûts de la génération romantique à laquelle l'auteur appartient.

« Je ne tardai pas à m'apercevoir dans le silence apparent de ces galeries, qu'il y avait un mouvement, un murmure, qui n'était pas de la mort.

Ces papiers, ces parchemins laissés là depuis longtemps ne demandaient pas mieux que de revenir au jour [...].

D'abord les familles et les fiefs, blasonnés dans leur poussière, réclamaient contre l'oubli.

Les provinces se soulevaient, alléguant qu'à tort la centralisation avait cru les anéantir.

Les ordonnances de nos rois prétendaient n'avoir point été effacées par la multitude des lois modernes...

Tous vivaient et parlaient, ils entouraient l'auteur d'une armée à cent langues qui faisait taire rudement la grande voix de la République et de l'Empire. Doucement, messieurs les morts, procédons par ordre, s'il vous plaît.

Tous vous avez droit sur l'histoire.

L'individuel est beau comme individuel, le général comme général.

Le Fief a raison, la Monarchie davantage, encore plus la République!...

La province doit revivre...

Elle doit reparaître, mais à condition de permettre que, la diversité s'effaçant peu à peu, l'identification du pays succède à son tour.

Revive la monarchie, revive la France! Qu'un grand essai de classification serve une fois de fil en ce chaos.

Une telle systématisation servira, quoique imparfaite.

Dût la tête s'emboîter mal aux épaules, la jambe s'agencer mal à la cuisse, c'est quelque chose de revivre. Et à mesure que je soufflais sur leur poussière, je les voyais se soulever.

Ils tiraient du sépulcre, qui la main, qui la tête, comme dans le Jugement dernier de Michel-Ange, ou dans la Danse des morts. Michelet, Histoire de France. Nommé en 1831 chef de la section historique aux Archives, Michelet rappelle ici le souvenir de son premier contact avec ces « catacombes manuscrites ». Que vous apprennent ces réflexions sur sa conception de l'histoire et que vous révèlent-elles sur son tempérament d'écrivain? INTRODUCTION Ces lignes nous apportent une synthèse de la conception originale que Michelet se faisait de l'histoire.

L'exposé de ces idées très générales, conduit d'une façon fort personnelle, nous permet de retrouver les attitudes, les accents et les goûts de la génération romantique à laquelle l'auteur appartient. I.

UNE CONCEPTION NOUVELLE DE L'HISTOIRE Le respect du passé.

Selon Michelet, l'historien doit d'abord respecter les données du passé qu'il se proposera de faire renaître intégralement.

A ucune exclusion commandée par la passion ou par les intérêts du moment ne doit lui être permise.

Tous les morts ont « droit sur l'histoire », tous doivent pouvoir revivre par l'histoire. La nécessité d'une classification.

Mais le passé se présente à nous sans ordre, sous la forme de la diversité la plus anarchique qui rend stérile toute tentative de compréhension.

C'est pourquoi la première tâche de l'historien doit être,1a classification.

Michelet insiste sur ce point : « Qu'un grand essai de classification serve une fois de fil en ce chaos.

Une telle systématisation servira, quoique imparfaite.

» La recherche d'une unité.

L'histoire en effet ne peut pas se contenter d'être narration, comme le voulait A ugustin Thierry, ni même d'être seulement « analyse » selon la thèse de Guizot.

L'historien doit parvenir à mettre en évidence, par-delà la spécificité de chaque fait, l'unité profonde de l'évolution nationale qui suit la courbe de l'émancipation humaine. « La diversité s'effaçant peu à peu, l'identification du pays succède à son tour.

» Une telle conception donnait à l'intuition et à l'imagination des droits qu'on leur refusait jusque-là dans le domaine de l'Histoire.

Michelet sait rendre son exposé plus convaincant encore par la forme inattendue dont il revêt sa démonstration. II.

UNE FORME ORIGINALE DE DÉMONSTRATION La réflexion ne se présente pas ici comme un raisonnement purement philosophique.

Michelet lui donne un mouvement et un esprit inhabituels à ce genre de considérations. Un mouvement dramatique.

L'imagination et la sensibilité que Michelet réclamera de tout historien le conduisent d'abord lui-même à personnifier les documents dont il nous parle.

C e procédé lui permet d'apporter une véritable intensité dramatique au récit de ses souvenirs.

Nous assistons à l'animation progressive de ces galeries qui ne sont silencieuses qu'en apparence.

L'importance numérique des groupes humains qui s'imposent à nous lorsque nous descendons le cours de l'histoire, est elle-même croissante : les familles d'abord, puis les fiefs, puis les provinces, puis les royaumes..., etc.

C'est une façon d'esquisser déjà cette unité dont nous parlions plus haut, tout en rendant le texte très séduisant pour le lecteur. Une évocation épique.

Le mouvement ainsi amorcé se développe, en effet, en une véritable évocation épique et nous sommes emportés comme Michelet luimême dans un tourbillon de voix discordantes et agressives : « Tous vivaient et parlaient, ils entouraient l'auteur d'une armée à cent langues qui faisait taire durement la grande voix de la République et de l'Empire.

» Une forme d'humour.

Cette image plaisante en elle-même s'interrompt brutalement par un sursaut d'autorité très humoristique : « Doucement, messieurs les morts, procédons par ordre, s'il vous plaît...

».

Le ton familier légèrement irrévérencieux, de cet ordre donné aux morts était préparé par certaines expressions amusées dans les lignes précédentes comme « les fiefs blasonnés dans leur poussière» ou «les provinces...

alléguant qu'à tort la centralisation avait cru les anéantir ».

L'impression cocasse éveillée en nous par cet historien-gendarme contribue en tous cas à rendre plus convaincantes les idées exprimées ensuite. III.

UN TEMPÉRAMENT ROMANTIQUE. Une telle méthode rend sensible le génie d'écrivain de cet historien qui s'apparente étroitement par son style et par ses goûts aux poètes romantiques, ses contemporains. Une présence personnelle de l'écrivain.

La recherche de la vérité selon Michelet ne commande pas nécessairement à l'individu de s'effacer derrière les faits. Il ira même jusqu'à revendiquer une histoire partiale.

C'est pourquoi il n'hésite pas à s'exprimer ici à la première personne marquant ainsi de son sceau le plus intime toute la vision de l'histoire qu'il amorce par cette préface.

Sa phrase contient même parfois de purs accents lyriques faisant appel aux sonorités et au rythme : «Et à mesure que je soufflais sur leur poussière, je les voyais se soulever.

» Le sens de la métaphore.

Poète autant que savant, Michelet sait trouver les images qui s'imposent à la sensibilité de son lecteur comme celle de cette « armée à cent langues » que nous citions plus haut.

Les métaphores s'enchaînent d'elles-mêmes renforçant la vigueur de la pensée : « Dût la tête s'emboîter mal aux épaules, la jambe s'agencer mal à la cuisse, c'est quelque chose de revivre.

» Le sens du fantastique.

C ette imagination ne se donne aucune borne.

Comme celle des poètes romantiques elle se complaît même dans les régions les plus angoissantes du rêve, celles où la vie et la mort se fondent en des représentations étranges et saisissantes.

La dernière « vision » du texte transforme l'historien en un véritable démiurge possédant le don de résurrection : « Ils tiraient du sépulcre, qui la main, qui la tête, comme dans le Jugement dernier de Michel-Ange ou dans la Danse des morts.

» CONCLUSION Dans cette page de la préface de son Histoire de France Michelet nous apporte ainsi beaucoup plus qu'une affirmation de principes.

Par le ton qu'il adopte dès ce départ, il nous engage à partager son enthousiasme pour une conception dynamique de la science historique, fondée sur l'intuition.

Grâce au génie propre aux plus grands créateurs de son temps, il transforme une réflexion austère en une œuvre d'art.. »

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