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Maurice Barrès, La Colline inspirée, I.

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Maurice Barrès, La Colline inspirée, I. Ce que les Baillard imprimaient à la terre lorraine, c'était le caractère de leur âme fidèle à une double tradition, catholique et lorraine. Comment ne pas aimer les personnages qui entreprennent de rétablir une magistrature spirituelle et de raviver le surnaturel sur les cimes de leur pays ? Et pourtant, c'est un lourd silence autour des trois frères Baillard, un double silence, celui de l'oubli naturel et celui voulu par l'Église. Vous pouvez passer et repasser à Flavigny, à Mattaincourt, à Sainte-Odile et à Sion, aucun indice ne vous dira ce qu'ils ont jeté de jeunesse, d'argent, de temps, d'activité et d'amour dans les fondations de ces bâtiments. Pourquoi leur nom n'est-il inscrit nulle part sur les pierres qu'ils ont relevées ? Pourquoi même en est-il proscrit ? Qu'est-ce que cette vapeur de soufre et cette odeur de damnation aujourd'hui répandues sur ces trois figures qui furent un moment bénies ? J'ai souvent interrogé sur les Baillard mon regretté ami, le chanoine Pierfitte, le savant curé de Portieux. A chaque fois il se taisait, détournait la conversation. Un jour, il s'en est expliqué en deux mots : "C'est encore trop tôt pour parler des Baillard." Trouvait-il que l'autorité s'était montrée bien dure envers ces vieux Lorrains ? Rien ne m'assure que telle fut son opinion. Je crois plutôt qu'il distinguait le rôle du diable dans cette affaire, et qu'il redoutait de remuer des souvenirs d'où pouvaient encore émaner des maléfices. La réserve de M. Pierfitte ne pouvait, faut-il l'avouer, qu'exciter ma curiosité. Comment accepter de ne rien savoir d'un mystique, métamorphosé par sa passion même et qui entre dans le cercle du noir enchanteur ?

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