Maupassant- Première Neige
Extrait du document
«
Cet extrait d'une nouvelle de Guy de Maupassant, intitulée Première neige, évoque les derniers jours d'une jeune femme tuberculeuse.
Le
titre rappelle les circonstances dans lesquelles l'héroïne a contracté cette maladie si fréquente au XIXe siècle.
Son mari, un noble
normand, plus obtus que foncièrement méchant, ne comprend pas qu'elle ait froid durant les hivers normands et refuse d'acheter un
calorifère.
La jeune femme, pour l'y forcer, sort à demi-dévêtue et se frictionne avec de la neige.
Elle tombe malade et obtient le fameux
calorifère.
L'extrait se situe à la fin de la nouvelle lors d'un séjour dans le Midi de la France dont le climat était réputé pour les «
poitrinaires »...
Outre les références culturelles particulières au XIXe siècle, riche en héroïnes tuberculeuses, le texte est intéressant dans la mesure où il
se double d'une méditation sur la mort propre à Maupassant, mise en valeur par l'évocation d'un paysage pétri de beauté et de vitalité.
Maupassant est sans conteste un auteur normand.
L'amateur de grand air et de nature, qu'il était, fut également séduit par le Midi, la mer
Méditerranée et le soleil comme le montrent ses nombreuses croisières.
Le paysage évoqué ici est à la fois grandiose et proche de l'être
humain.
La scène se passe à C annes puisque la « petite et coquette maison » donne sur la Croisette.
La mer chère à Maupassant est
décrite par trois adjectifs précédés de l'intensif si : « si bleue, si tranquille, si belle ».
A cette immensité répond le ciel « plein de soleil et
d'hirondelles » ce qui donne une indication sur la saison : la scène se passe probablement au printemps.
La montagne délimite le cadre :
« les sommets de l'Estérel là-bas ».
Ce lieu est cependant fait de mesure, il est à la taille de l'être humain et différentes notations préludent ainsi à l'atmosphère de douceur
qui le caractérise.
La maison est « petite et coquette », elle ouvre directement sur la promenade, elle-même agrémentée de bancs afin de
jouir du paysage : « un banc vide en face de la mer ».
La nature est humanisée, policée : « les souffles parfumés des jardins ».
Tout
semble concourir, décor, nature, climat, personnages à célébrer la douceur de vivre.
Ainsi le temps est clément comme le montre la phrase « l'air tiède de ce doux pays ».
Les notations positives abondent : « mer calme,
hirondelles, soleil...
».
Cette qualité d'atmosphère se transmet aux personnages, des familles de promeneurs semble-t-il, «ces mêmes
gens [...] avec leurs enfants un peu plus grands, [...] avec le cœur toujours rempli d'espoirs, de tendresse et de bonheur.
» Le paysage
évoqué se caractérise donc par la beauté et un idéal de mesure et de douceur, traits que l'on retrouve dans le portrait de l'héroïne.
La scène paraît vue à travers les yeux de la jeune femme.
En réalité, Maupassant lui prête ses propres idées sur la mort ce qui explique
que l'apparente résignation te charge de violentes constatations réalistes.
Fidèle à son esthétique réaliste acquise auprès de son maître et
ami Flaubert, lui-même fils de médecin, Maupassant évoque assez précisément l'état de santé de la jeune femme.
Si le terme de
tuberculose (on disait alors « maladie de la poitrine » ou « phtisie ») n'est pas prononcé, les symptômes sont assez clairs.
La maladie se traduit par une intense fatigue.
Le champ lexical de la fatigue est représenté par les termes suivants : « une allure accablée
», « fatiguée d'avoir fait vingt pas » et l'emploi du verbe « épuiser ».
Maupassant évoque la toux : «elle tousse [...] ces secousses qui
l'épuisent ».
Les crachements de sang, eux, ne sont pas mentionnés, sans doute pour ne pas apporter une touche trop réaliste et crue en
opposition avec la douceur du paysage.
Cependant la pâleur de la jeune femme (« son pâle visage semble celui d'une morte ») et ses
doigts diaphanes (« ses doigts transparents ») montrent qu'elle est au stade terminal de la maladie et proche de la mort.
L'imminence de celle-ci apporte à la jeune femme une étrange résignation.
Elle aussi, en harmonie avec le décor est toute douceur
comme le montre l'emploi du verbe sourire : « elle sourit » repris par « elle sourit encore ».
Elle semble profiter du paysage ce qui justifie les nombreux verbes de perception employés par l'auteur.
« Elle s'arrête un instant à
regarder les promeneurs [...] elle regarde le ciel » et enfin l'avant-dernière notation d'une ironie tragique : elle « respire tant qu'elle peut,
de ses poumons malades (l'expression constituant l'unique allusion directe à la tuberculose) les souffles parfumés des jardins ».
Force est
donc de constater, au-delà de la résignation, un étrange bonheur, un ultime sursaut d'appétit de vivre, un dernier carpe diem qui
s'exprime par l'exclamation : « Oh ! que je suis heureuse ! »
Cependant la dernière phrase du texte « elle songe » doit être reliée à la méditation sur la mort qui occupe un paragraphe sensiblement
plus long que les autres et surtout d'un ton différent.
En effet, après l'étrange aveu de bonheur, un paragraphe est tout entier consacré à
la mort.
Il est attribué à la jeune femme (« Elle sait [...] ») et ne s'écarte pas du cadre de la nouvelle puisqu'on y retrouve le printemps, «
la même promenade », « ces mêmes gens », mais le ton paraît plus proche de Maupassant que de son héroïne.
Des indices internes et
externes (des similitudes avec deux passages de Bel-Ami) permettent de l'affirmer.
Cette méditation se caractérise par l'insistance voulue sur l'idée de mort.
On trouve les expressions suivantes : « elle va mourir, elle ne
verra point le printemps, elle ne sera plus, ce sera fini pour elle, fini pour toujours, elle ne sera plus.
» Ces termes synonymes forment un
véritable glas.
L'évocation macabre du cadavre en décomposition est également plus attribuable au romancier qu'à son héroïne.
L'antithèse est soigneusement préparée.
Amorcée par le « tandis que », elle oppose « la pauvre chair qui lui reste aujourd'hui » aux « os
», « la robe de soie » au « linceul » et la promenade au « fond du cercueil de chêne ».
Les termes réalistes abondent comme « cercueil,
linceul, os » et surtout « pourriture » qui détonne volontairement dans ce cadre.
Le « jamais plus » inexorable de la mort s'oppose au cycle ininterrompu de la nature (« toutes les choses de la vie continueront ») et des
autres être humains qui se succéderont sans relâche : « ces mêmes gens qui passent devant elle, viendront encore respirer l'air tiède de
ce doux pays avec leurs enfants un peu plus grands, avec leur cœur toujours rempli d'espoirs, de tendresse, de bonheur ».
Cette
opposition entre la vie qui s'achève et le flux éternel des générations suivantes est une idée obsessionnelle chez Maupassant puisqu'on la
retrouve à deux reprises dans Bel-Ami, dans le discours sur la mort que délivre le vieux poète Norbert de Varenne à Bel-Ami et dans les
pensées de Duroy lui-même lorsqu'il veille le corps de son ami Forestier, également mort de tuberculose dans le Midi.
Qu'on juge des
similitudes par ces deux extraits : « Et jamais un être ne revient, jamais...
[...] Et pourtant, il naîtra des millions, des milliards d'êtres 'qui
auront dans quelques centimètres carrés un nez, des yeux, un front, des joues et une bouche comme moi, et aussi une âme comme moi
sans que jamais je revienne moi [...] » et la peur de Duroy devant le lit de mort de Forestier : « Et partout chacun porte en soi le désir
fiévreux et irréalisable de l'éternité [...] et chacun s'anéantit bientôt complètement dans le fumier des germes nouveaux.
»
Cet extrait de Première Neige présente plusieurs aspects du talent de Maupassant nouvelliste.
On y trouve (pour qui connaît l'ensemble
de la nouvelle) l'art d'agencer une intrigue et sa chute (puisque la jeune femme est volontairement tombée malade), le croquis d'un lieu
et d'un personnage.
Si la nouvelle requiert des qualités de brièveté et de stylisation (dans l'évocation du paysage et du caractère de la
jeune femme) ainsi que des effets de construction (ici l'opposition entre un paysage symbole de beauté, de vie et la présence de la
maladie et de la mort), elle s'appuie également sur quelques .grandes idées (ici, la méditation sur la mort) que l'auteur peut développer
dans d'autres genres littéraires, comme le roman et qui attestent de la cohérence et de l'authenticité de son univers..
»
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