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Maupassant- Première Neige

Extrait du document

Une jeune dame vient de sortir de sa petite et coquette maison dont la porte est sur la Croisette. Elle s'arrête un instant à regarder les promeneurs, sourit et gagne, dans une allure accablée, un banc vide en face de la mer. Fatiguée d'avoir fait vingt pas, elle s'assied en haletant. Son pâle visage semble celui d'une morte. Elle tousse et porte à ses lèvres ses doigts transparents comme pour arrêter ces secousses qui l'épuisent. Elle regarde le ciel plein de soleil et d'hirondelles, les sommets capricieux de l'Esterel là-bas, et, tout près, la mer si bleue, si tranquille, si belle. Elle sourit encore, et murmure : "Oh ! que je suis heureuse." Elle sait pourtant qu'elle va mourir, qu'elle ne verra point le printemps, que, dans un an, le long de la même promenade, ces mêmes gens qui passent devant elle viendront encore respirer l'air tiède de ce doux pays, avec leurs enfants un peu plus grands, avec le coeur toujours rempli d'espoirs, de tendresses, de bonheur, tandis qu'au fond d'un cercueil de chêne la pauvre chair qui lui reste encore aujourd'hui sera tombée en pourriture, laissant seulement ses os couchés dans la robe de soie qu'elle a choisie pour linceul. Elle ne sera plus. Toutes les choses de la vie continueront pour d'autres. Ce sera fini pour elle, pour toujours. Elle ne sera plus. Elle sourit, et respire tant qu'elle peut, de ses poumons malades, les souffles parfumés des jardins. Et elle songe. Maupassant- Première Neige

« Cet extrait d'une nouvelle de Guy de Maupassant, intitulée Première neige, évoque les derniers jours d'une jeune femme tuberculeuse.

Le titre rappelle les circonstances dans lesquelles l'héroïne a contracté cette maladie si fréquente au XIXe siècle.

Son mari, un noble normand, plus obtus que foncièrement méchant, ne comprend pas qu'elle ait froid durant les hivers normands et refuse d'acheter un calorifère.

La jeune femme, pour l'y forcer, sort à demi-dévêtue et se frictionne avec de la neige.

Elle tombe malade et obtient le fameux calorifère.

L'extrait se situe à la fin de la nouvelle lors d'un séjour dans le Midi de la France dont le climat était réputé pour les « poitrinaires »... Outre les références culturelles particulières au XIXe siècle, riche en héroïnes tuberculeuses, le texte est intéressant dans la mesure où il se double d'une méditation sur la mort propre à Maupassant, mise en valeur par l'évocation d'un paysage pétri de beauté et de vitalité. Maupassant est sans conteste un auteur normand.

L'amateur de grand air et de nature, qu'il était, fut également séduit par le Midi, la mer Méditerranée et le soleil comme le montrent ses nombreuses croisières.

Le paysage évoqué ici est à la fois grandiose et proche de l'être humain.

La scène se passe à C annes puisque la « petite et coquette maison » donne sur la Croisette.

La mer chère à Maupassant est décrite par trois adjectifs précédés de l'intensif si : « si bleue, si tranquille, si belle ».

A cette immensité répond le ciel « plein de soleil et d'hirondelles » ce qui donne une indication sur la saison : la scène se passe probablement au printemps.

La montagne délimite le cadre : « les sommets de l'Estérel là-bas ». Ce lieu est cependant fait de mesure, il est à la taille de l'être humain et différentes notations préludent ainsi à l'atmosphère de douceur qui le caractérise.

La maison est « petite et coquette », elle ouvre directement sur la promenade, elle-même agrémentée de bancs afin de jouir du paysage : « un banc vide en face de la mer ».

La nature est humanisée, policée : « les souffles parfumés des jardins ».

Tout semble concourir, décor, nature, climat, personnages à célébrer la douceur de vivre. Ainsi le temps est clément comme le montre la phrase « l'air tiède de ce doux pays ».

Les notations positives abondent : « mer calme, hirondelles, soleil...

».

Cette qualité d'atmosphère se transmet aux personnages, des familles de promeneurs semble-t-il, «ces mêmes gens [...] avec leurs enfants un peu plus grands, [...] avec le cœur toujours rempli d'espoirs, de tendresse et de bonheur.

» Le paysage évoqué se caractérise donc par la beauté et un idéal de mesure et de douceur, traits que l'on retrouve dans le portrait de l'héroïne. La scène paraît vue à travers les yeux de la jeune femme.

En réalité, Maupassant lui prête ses propres idées sur la mort ce qui explique que l'apparente résignation te charge de violentes constatations réalistes.

Fidèle à son esthétique réaliste acquise auprès de son maître et ami Flaubert, lui-même fils de médecin, Maupassant évoque assez précisément l'état de santé de la jeune femme.

Si le terme de tuberculose (on disait alors « maladie de la poitrine » ou « phtisie ») n'est pas prononcé, les symptômes sont assez clairs. La maladie se traduit par une intense fatigue.

Le champ lexical de la fatigue est représenté par les termes suivants : « une allure accablée », « fatiguée d'avoir fait vingt pas » et l'emploi du verbe « épuiser ».

Maupassant évoque la toux : «elle tousse [...] ces secousses qui l'épuisent ».

Les crachements de sang, eux, ne sont pas mentionnés, sans doute pour ne pas apporter une touche trop réaliste et crue en opposition avec la douceur du paysage.

Cependant la pâleur de la jeune femme (« son pâle visage semble celui d'une morte ») et ses doigts diaphanes (« ses doigts transparents ») montrent qu'elle est au stade terminal de la maladie et proche de la mort. L'imminence de celle-ci apporte à la jeune femme une étrange résignation.

Elle aussi, en harmonie avec le décor est toute douceur comme le montre l'emploi du verbe sourire : « elle sourit » repris par « elle sourit encore ». Elle semble profiter du paysage ce qui justifie les nombreux verbes de perception employés par l'auteur.

« Elle s'arrête un instant à regarder les promeneurs [...] elle regarde le ciel » et enfin l'avant-dernière notation d'une ironie tragique : elle « respire tant qu'elle peut, de ses poumons malades (l'expression constituant l'unique allusion directe à la tuberculose) les souffles parfumés des jardins ».

Force est donc de constater, au-delà de la résignation, un étrange bonheur, un ultime sursaut d'appétit de vivre, un dernier carpe diem qui s'exprime par l'exclamation : « Oh ! que je suis heureuse ! » Cependant la dernière phrase du texte « elle songe » doit être reliée à la méditation sur la mort qui occupe un paragraphe sensiblement plus long que les autres et surtout d'un ton différent.

En effet, après l'étrange aveu de bonheur, un paragraphe est tout entier consacré à la mort.

Il est attribué à la jeune femme (« Elle sait [...] ») et ne s'écarte pas du cadre de la nouvelle puisqu'on y retrouve le printemps, « la même promenade », « ces mêmes gens », mais le ton paraît plus proche de Maupassant que de son héroïne.

Des indices internes et externes (des similitudes avec deux passages de Bel-Ami) permettent de l'affirmer. Cette méditation se caractérise par l'insistance voulue sur l'idée de mort.

On trouve les expressions suivantes : « elle va mourir, elle ne verra point le printemps, elle ne sera plus, ce sera fini pour elle, fini pour toujours, elle ne sera plus.

» Ces termes synonymes forment un véritable glas.

L'évocation macabre du cadavre en décomposition est également plus attribuable au romancier qu'à son héroïne. L'antithèse est soigneusement préparée.

Amorcée par le « tandis que », elle oppose « la pauvre chair qui lui reste aujourd'hui » aux « os », « la robe de soie » au « linceul » et la promenade au « fond du cercueil de chêne ».

Les termes réalistes abondent comme « cercueil, linceul, os » et surtout « pourriture » qui détonne volontairement dans ce cadre. Le « jamais plus » inexorable de la mort s'oppose au cycle ininterrompu de la nature (« toutes les choses de la vie continueront ») et des autres être humains qui se succéderont sans relâche : « ces mêmes gens qui passent devant elle, viendront encore respirer l'air tiède de ce doux pays avec leurs enfants un peu plus grands, avec leur cœur toujours rempli d'espoirs, de tendresse, de bonheur ».

Cette opposition entre la vie qui s'achève et le flux éternel des générations suivantes est une idée obsessionnelle chez Maupassant puisqu'on la retrouve à deux reprises dans Bel-Ami, dans le discours sur la mort que délivre le vieux poète Norbert de Varenne à Bel-Ami et dans les pensées de Duroy lui-même lorsqu'il veille le corps de son ami Forestier, également mort de tuberculose dans le Midi.

Qu'on juge des similitudes par ces deux extraits : « Et jamais un être ne revient, jamais...

[...] Et pourtant, il naîtra des millions, des milliards d'êtres 'qui auront dans quelques centimètres carrés un nez, des yeux, un front, des joues et une bouche comme moi, et aussi une âme comme moi sans que jamais je revienne moi [...] » et la peur de Duroy devant le lit de mort de Forestier : « Et partout chacun porte en soi le désir fiévreux et irréalisable de l'éternité [...] et chacun s'anéantit bientôt complètement dans le fumier des germes nouveaux.

» Cet extrait de Première Neige présente plusieurs aspects du talent de Maupassant nouvelliste.

On y trouve (pour qui connaît l'ensemble de la nouvelle) l'art d'agencer une intrigue et sa chute (puisque la jeune femme est volontairement tombée malade), le croquis d'un lieu et d'un personnage.

Si la nouvelle requiert des qualités de brièveté et de stylisation (dans l'évocation du paysage et du caractère de la jeune femme) ainsi que des effets de construction (ici l'opposition entre un paysage symbole de beauté, de vie et la présence de la maladie et de la mort), elle s'appuie également sur quelques .grandes idées (ici, la méditation sur la mort) que l'auteur peut développer dans d'autres genres littéraires, comme le roman et qui attestent de la cohérence et de l'authenticité de son univers.. »

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