Marquise du Deffand
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Marquise du Deffand
Pendant quarante ans, Marie de Vichy-Chamron, marquise du Deffand reçut dans son salon les plus grands écrivains.
Devenue aveugle, elle prit pour lectrice Julie de Lespinasse avec qui elle se brouilla tempétueusement quand celle-ci
prit une influence jugée concurrence déloyale.
Ses Lettres à d'Alembert, à Montesquieu, à Voltaire, à Horace
Walpole et à la duchesse de Choiseul révèlent une intelligence froide qui se mue, vers la fin, en exaltation, une
grande liberté de jugement et l'ennui incurable qui rongea cette longue vie.
La marquise du Deffand écrivait en 1767 : "...
Il n'y a pas de recette contre l'ennui que l'exercice du corps,
l'application de l'esprit, ou l'occupation du coeur ; c'est être automate que de se passer de tous les trois...
" Sans le
vouloir, sans le savoir peut-être, la vieille dame retraçait le plan de sa propre existence, tout en avouant le drame
qui l'avait taraudée : la fuite perpétuelle devant cet ennemi de son siècle, l'ennui.
Les trois étapes qu'elle indique furent les siennes, la plus longue, la plus importante de beaucoup ayant été la
médiane, celle de l'esprit, celle de son célèbre salon.
En guise de préambule : l'enfance.
Privée d'affection, un mariage " préfabriqué " devait l'interrompre sans vraiment la
terminer.
Marie de Vichy-Chamrond, de noble famille bourbonnaise apparentée aux Choiseul, a trois ans lorsque se
lève le XVIIIe siècle.
Elle s'éteindra vingt ans avant lui.
Son enfance, son adolescence, tout entières passées dans
un couvent parisien de Bénédictines peu austères, ont laissé d'elle le souvenir, et, déjà, la réputation d'un esprit
rebelle à toute croyance religieuse, à toute discipline intellectuelle.
Il semble bien que la fillette se fit remarquer de
bonne heure par ses reparties qui annonçaient la femme d'esprit, et qu'elle prit très tôt l'habitude d'avoir autour
d'elle l'auditoire complaisant dont elle gardera, sa vie durant, le plus nécessaire besoin.
Peut-être aussi, de ses premiers succès ne dérangera-t-on pas tout exprès, pour raisonner la petite pensionnaire, le
célèbre, le grand Massillon ? que n'équilibrait et ne réchauffait aucune tendresse familiale, conserva-t-elle un désir,
inconscient, de rester la petite fille écoutée et admirée...
N'est-elle pas, en effet, curieuse cette manie, qu'elle eut
jusqu'à sa plus tardive vieillesse, d'appeler, par exemple, " Grand-maman ", même par jeu, la toute jeune duchesse
de Choiseul (qui savait d'ailleurs lui faire plaisir en lui donnant du " Ma chère enfant " dans ses lettres), ou " mon
tuteur ", celui qu'elle aimait, cet Horace Walpole de vingt-deux ans son cadet ?
Sortie du couvent, on la marie au très sage, très convenable et riche marquis du Deffand de La Lande, colonel de
dragons.
Elle refuse aussitôt de le suivre dans ses garnisons, et se sépare pratiquement de lui quand il s'en va
prendre le gouvernement de l'Orléanais.
Elle préfère, bien sûr, demeurer dans ce Paris de la Régence dont elle a vite
adopté, jeune, jolie et fort courtisée, les moeurs très légères.
Habituée des nuits de Sceaux et des fameux petitssoupers du Palais-Royal, elle va d'un amant à l'autre, et passe même par les bras du Régent quinze jours, dit-on : le
temps d'y cueillir une appréciable rente viagère de 6 000 livres...
1730.
Le corps est moins jeune ; l'esprit se fait plus mûr et son temps a sonné.
Elle se lie alors, et pour longtemps,
au président Hénault, qui fut un joyeux vivant, mais que l'âge (il a quarante-cinq ans), les titres (doublement
académicien et historien), la charge de surintendant de la Maison de la Reine ont rendu sage.
Point de passion,
naturellement, entre eux.
Il va l'aider beaucoup à asseoir sa position dans le monde, lui amenant ses propres amis
habitués à être magnifiquement traités chez ce fin gourmet, mais qui accepteront, rue de Beaune, de faire moins
bonne chère aux soupers de la marquise qui les régale surtout de son esprit.
Voici donc ouvert son premier salon mais on dit alors : assemblée , où elle reçoit ensemble, et non point séparément
comme le faisait la duchesse du Maine, gens de qualité et de plume.
Ces réunions sont encore bien frivoles, bien
Régence : Lauzun, Richelieu et Mme de Vintimille y sont plus écoutés que d'Alembert, le nouvel ami dont
l'intelligence a ébloui la marquise ; bien mondaines avec les Broglie, les Beauvau, les Choiseul, les Brienne, et cette
Maréchale de Luxembourg, arbitre de la bienséance et du bon ton.
Mais le salon de Mme du Deffand conservera
toujours ce caractère mondain, même quand les gens de lettres y seront plus nombreux.
En 1747, veuve (enfin !) et par cela même plus fortunée, rue Saint-Dominique, au couvent Saint-Joseph, ou plutôt
dans une partie du couvent louée à des " personnes du siècle " par les religieuses qu'y avait établies, pour éduquer
des orphelines, Mme de Montespan.
Mme du Deffand loue le très bel appartement que l'ancienne favorite était
venue habiter après sa disgrâce, et l'on a souvent décrit son grand salon aux rideaux de soie jaune dont la
cheminée porte encore les armes des Mortemart.
Elle reçoit, fine et menue, assise dans un fauteuil " tonneau ",
avec, sur ses genoux, ses chats ou son chien rageur, Tonton.
Les visiteurs sont très nombreux.
Aux habitués de la rue de Beaune, sont venus se joindre d'autres grands
seigneurs, comme le prince de Beauffremont, la princesse de Poix, la marquise de Boufflers, d'autres gens importants
tels M.
et Mme Necker, Turgot, et beaucoup plus d'écrivains : Voltaire en est le dieu, d'Alembert, l'enfant chéri,
Montesquieu, le moins apprécié.
Marivaux viendra plus tard ; Diderot, jamais.
On lit, on chante, on joue la comédie.
On rit des tours de d'Alembert, désopilant imitateur.
Surtout, on parle.
Les
visiteurs parlent, car l'hôtesse, qui lit peu elle était moins cultivée que ne l'ont cru ses admirateurs, Sainte-Beuve en.
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