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Marquise de Sévigné

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D'où vient cette étonnante popularité, chez nous, de la Divine Marquise ? Elle fait partie de la si petite minorité des écrivains qui, célèbres de leur temps, ne connurent jamais l'oubli ni l'injuste décri de la postérité. Ainsi que Villon, elle ne cessa jamais d'être lue. Ses détracteurs mêmes ­ qui n'en a, dans le monde des lettres ? ­ lui rendent hommage. Duhamel, sous le couvert de Salavin, raconte comment un professeur de littérature haïssait Mme de Sévigné qu'il appelait : "la Rabutin", mais que tout soudain, lisant le passage de la célèbre lettre à sa fille "j'ai mal à votre poitrine", il s'écria, fou de rage : "Et le pis, c'est qu'elle savait écrire, la garce !" Orpheline de père à dix-huit mois, de mère à sept ans, Marie ne possédait plus, en 1636 ­ elle avait alors dix ans ­ qu'une grand-mère : la célèbre sainte Chantal qui avait, vingt-six ans plus tôt, enjambé son fils couché en travers de la porte, tant la brûlait la soif de Dieu. Elle devait faire preuve du même détachement en ce qui concernait la petite orpheline ; s'apitoyant sur son "dépouillement de père et de mère", elle ne manquait point, cependant, de conclure qu'elle se fiait encore une fois à Dieu en la lui "remettant de bon coeur". Chacun sait comment le truchement de Dieu fut, pour la petite orpheline, le "bien bon" abbé de Coulanges, à qui nous devons la trempe et la finesse d'une des plumes les plus délectables de nos lettres. Les préjugés de l'époque inclinaient les éducateurs à négliger beaucoup l'instruction des jeunes filles, jugeant qu'une femme en sait toujours assez : Quand la capacité de son esprit se hausse A connaître un pourpoint d'avec un haut-de-chausses. Ce à quoi le délicat abbé de Coulanges eût pu répondre, avec un autre personnage des Femmes savantes - Je conçois qu'une femme ait des clartés en tout.

« Marquise de Sévigné D'où vient cette étonnante popularité, chez nous, de la Divine Marquise ? Elle fait partie de la si petite minorité des écrivains qui, célèbres de leur temps, ne connurent jamais l'oubli ni l'injuste décri de la postérité.

Ainsi que V illon, elle ne cessa jamais d'être lue.

Ses détracteurs mêmes qui n'en a, dans le monde des lettres ? lui rendent hommage.

Duhamel, sous le couvert de Salavin, raconte comment un professeur de littérature haïssait Mme de Sévigné qu'il appelait : "la Rabutin", mais que tout soudain, lisant le passage de la célèbre lettre à sa fille "j'ai mal à votre poitrine", il s'écria, fou de rage : "Et le pis, c'est qu'elle savait écrire, la garce !" Orpheline de père à dix-huit mois, de mère à sept ans, Marie ne possédait plus, en 1636 elle avait alors dix ans qu'une grand-mère : la célèbre sainte Chantal qui avait, vingt-six ans plus tôt, enjambé son fils couché en travers de la porte, tant la brûlait la soif de Dieu.

Elle devait faire preuve du même détachement en ce qui concernait la petite orpheline ; s'apitoyant sur son "dépouillement de père et de mère", elle ne manquait point, cependant, de conclure qu'elle se fiait encore une fois à Dieu en la lui "remettant de bon coeur". Chacun sait comment le truchement de Dieu fut, pour la petite orpheline, le "bien bon" abbé de C oulanges, à qui nous devons la trempe et la finesse d'une des plumes les plus délectables de nos lettres.

Les préjugés de l'époque inclinaient les éducateurs à négliger beaucoup l'instruction des jeunes filles, jugeant qu'une femme en sait toujours assez : Quand la capacité de son esprit se hausse A connaître un pourpoint d'avec un haut-de-chausses. Ce à quoi le délicat abbé de C oulanges eût pu répondre, avec un autre personnage des Femmes savantes Je conçois qu'une femme ait des clartés en tout. Chapelain, que V oiture appela "l'homme le plus judicieux du siècle" et dont Ménage comparait l'esprit à l'éclat du soleil, possédait assez de bel esprit et de connaissances en latin et en français pour constituer un excellent précepteur.

Le discrédit où l'a jeté Boileau nous a fait un peu oublier qu'il fut un des premiers conseillers de Racine et un des grands maîtres à penser du XVIIe siècle.

Ménage, "léger comme un abbé de cour", versifiant avec aisance dans toutes les langues, tenant bureau de bel esprit, inspira à sa jeune élève une affection très vive que gâtaient parfois les malicieuses épigrammes dont elle le criblait à l'occasion.

Pour une petite personne taquine et rieuse, douée d'un jugement sûr, quelle tentation devait constituer la fatuité d'un tel personnage capable de publier un choix de ses propres vers sous le titre suivant : Divers endroits de mes poésies où j'ai parlé de moi avec modestie... C'est à cette époque que Marie de Rabutin-C hantal, devenue jeune fille, charmait par la beauté de son teint, de ses yeux bleus et de ses magnifiques cheveux blonds.

Avantages qui lui permirent de plaire au marquis Henri de Sévigné ; et celui-ci l'épousa, grâce à l'appui du C oadjuteur de Paris, Gondi le futur célèbre C ardinal de Retz. Ce mariage devait mal tourner pour la pauvre petite épouse.

Volage et sans scrupules, le marquis gaspilla la dot de sa femme jusqu'à ce que l'abbé de Coulanges exigeât la séparation de biens.

Un duel absurde termina la vie et la carrière du trop frivole marquis, laissant sa femme veuve avec deux enfants, Marguerite et Charles, âgés de cinq et trois ans. Mme de Sévigné avait assez aimé ce peu recommandable époux pour tomber sans connaissance la première fois qu'elle revit Lacger, l'instigateur du duel, et pour s'écrier : "V oilà l'homme que je hais le plus !" Plusieurs mois passèrent avant que la pauvre femme consentît à quitter son château des Rochers où elle pleurait son époux.

La Gazette, toujours galante, annonça l'événement de son retour par ces vers : Sévigné, veuve, jeune et belle ; Comme une chaste tourterelle Ayant d'un coeur triste et marri Lamenté monsieur son mari Est de retour de la campagne... Cette agréable, cette spirituelle veuve de vingt-six ans allait-elle tenir la gageure de rester fidèle à la mémoire du mort ? Son cousin Bussy crut, quelque temps, faire tomber les remparts de cette citadelle.

Mais la jeune femme, sans se laisser griser par celui qui prétendait voir en elle "les délices du genre humain", repoussa ses avances avec une finesse railleuse qu'il ne lui pardonna point.

On sait comment il fit d'elle un portrait calomnieux qui courut sous le manteau, avec bien d'autres, jusqu'à l'éclat du scandale et à sa relégation à la Bastille.

La générosité de la marquise, le pardon qu'elle lui accorda, ont fait l'admiration de tous ses biographes.

C ette fidélité dans l'amitié, elle en fit preuve également avec le malheureux surintendant Fouquet, qui avait pourtant commis l'indélicatesse de mêler ses lettres amicales à des billets de ses maîtresses.

A vec C orbinelli et sa femme, elle se montra également pleine de la générosité et de la tendre sollicitude qui caractérisent les "vrais amis" de La Fontaine.

Point besoin de chercher au Monomotapa.

La plus exquise essence de l'amitié, c'est au château des Rochers qu'on peut la trouver, ou à l'hôtel de Rambouillet selon le séjour de la marquise. Et c'est la longue période des admirables lettres qui caractérisent la deuxième partie de la vie de Mme de Sévigné ; époque bien calme quand on la compare à la première ; ainsi que le dira "notre vieil ami Corneille" : à la tempête succède la "bonace".

Son fils marié en 1684 à une fille noble de Bretagne (après avoir caressé un instant un projet d'union avec "la petite Lefèvre d'Eaubonne"), sa fille, au comte de Grignan, la charmante femme vécut partagée entre Paris, Livry, les Rochers, plus quelques voyages à Vichy.

La correspondance demeure son presque unique moyen de rester en contact avec ceux qu'elle aime. On a tout dit sur ces lettres uniques en leur genre (si l'on excepte celles de Voiture qui ne les approchent pas, même de loin).

Mme de Sévigné s'y est montrée la première des journalistes, tant du point de vue chronologique que sur le plan de la valeur intrinsèque.

L'épigramme, le sermon, la maxime, la description de la nature, le reportage, le madrigal, presque tout ce qui se trouve dans la littérature de son siècle, et divers éléments qui ne s'y trouvent pas, concourent sous la plume de notre épistolière.

Elle atteint sans effort aux sommets de plusieurs de ces "genres" dès qu'elle se mêle d'être par eux tentée ; ses maximes rappellent le meilleur La Bruyère, ses oraisons funèbres frémissent d'un écho qui évoque Bossuet ; les passages lyriques que lui inspirent les Rochers n'ont pas d'égal à l'époque, si ce n'est chez La Fontaine.

Peut-être est-ce à cette diversité fastueuse d'inspiration que nous devons attribuer la renommée inouïe et toujours renaissante de notre Marquise.

Le plus grand écrivain féminin du XVIIIe siècle, ce n'est sans doute pas elle mais Mme de La Fayette.

Et cependant, parmi ceux qui connaissent par coeur la lettre du carrosse renversé, de la fenaison, du mariage de la Grande Mademoiselle, combien ont lu d'un bout à l'autre la Princesse de C lèves ? Notre amour pour la marquise si spirituelle et cependant si peu futile, c'est sans doute un aspect de ce que l'on appelle la légèreté française, cette légèreté dont Péguy disait qu'elle est "le contraire de la lourdeur".. »

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