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Marianne Moore

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La personnalité de Marianne Moore et sa carrière constituent un des phénomènes les plus curieux de la littérature américaine actuelle. Voici un poète qui a reçu les prix les plus estimés et les plus honorables, dont l'art pousse le raffinement jusqu'aux recherches extrêmes, qui n'a jamais et d'aucune façon sollicité l'adhésion du “ grand public ”, qui semble, parfois, l'écarter délibérément, et qui, cependant, a acquis une très vaste audience. Tenu pour “ ésotérique ” ou “ hermétique ”, ce poète a su parler aux êtres sensibles le langage de la sensation, sinon du sentiment, et ne pas abstraire l'intelligence de ce contact avec la matière qui est si émouvant, par sa sincérité et sa spontanéité au milieu des détours labyrinthiques de l'expression. Les poèmes de Marianne Moore ont l'apparence de constructions suprêmement intellectuelles, et cela pourrait, au premier coup d'œil, effrayer et même rebuter quiconque souhaite une poésie plus directe et parlant plus immédiatement au cœur, mais il faut admettre que le cœur s'enferme dans des retraites où l'on ne pourra ni le rejoindre, ni l'attaquer, derrière la structure brillante d'images soigneusement choisies, polies, serties, posées à la place où par leur forme, leur couleur, leur matière, elles offriront un contraste plus frappant.

« Marianne Moore La personnalité de Marianne Moore et sa carrière constituent un des phénomènes les plus curieux de la littérature américaine actuelle. Voici un poète qui a reçu les prix les plus estimés et les plus honorables, dont l'art pousse le raffinement jusqu'aux recherches extrêmes, qui n'a jamais et d'aucune façon sollicité l'adhésion du “ grand public ”, qui semble, parfois, l'écarter délibérément, et qui, cependant, a acquis une très vaste audience.

Tenu pour “ ésotérique ” ou “ hermétique ”, ce poète a su parler aux êtres sensibles le langage de la sensation, sinon du sentiment, et ne pas abstraire l'intelligence de ce contact avec la matière qui est si émouvant, par sa sincérité et sa spontanéité au milieu des détours labyrinthiques de l'expression. Les p o è m e s d e Marianne Moore ont l'apparence d e constructions suprêmement intellectuelles, et cela pourrait, au premier coup d'œil, effrayer et même rebuter quiconque souhaite une poésie plus directe et parlant plus immédiatement au cœur, mais il faut admettre que le cœur s'enferme dans des retraites où l'on ne pourra ni le rejoindre, ni l'attaquer, derrière la structure brillante d'images soigneusement choisies, polies, serties, posées à la place où par leur forme, leur couleur, leur matière, elles offriront un contraste plus frappant. Le génie de l'image que nous admirons chez Marianne Moore a peut-être beaucoup appris de l'Imagisme, qui fut un des mouvements les plus actifs et les plus riches en signification de la poésie américaine de notre temps.

On aurait pu craindre toutefois que le goût de l'image pour elle- même n'entraînât une certaine gratuité.

Marianne Moore n'a pas été effleurée par cette tentation de l'image gratuite, car les mots sont choisis par elle pour leur valeur sensorielle avant de l'être pour ce que, intellectuellement, ils représentent et signifient.

Ce sont des mots-objets dont elle s'approche avec précaution et respect, et qu'elle a connus en tant que choses avant de les relier à des idées.

Et parmi ces mots-objets, elle préfère ceux qui s'imposent par leur densité, leur poids, leur éclat lisse, la beauté de leur matière minérale. Elle aimerait ces artistes chinois qui passent u n e vie entière à tailler u n e feuille dans un bloc d e jade, parce qu'elle estime la feuille périssable à l'égal de la pierre dure, et parce qu'elle sait que c'est la seule façon d'éterniser le périssable. L'amitié que ce poète porte aux choses est de la même qualité que celle manifestée par les poètes précieux de jadis ou de naguère pour tout ce qui vit et, vivant, est menacé par la mort.

Immortaliser le provisoire et le précaire dans une substance inattaquable au temps, devint ainsi l'opération majeure de cette poésie, au plus haut degré consciente mais nullement coupée de la palpitation du réel.

Marianne Moore va chercher le réel sous sa forme la plus simple et la plus quotidienne, qui, penserait-on, ne mérite guère de devenir l'objet d'une transfiguration poétique ; elle n'a pas peur de glisser insidieusement une phrase tout à fait banale parmi d e b e a u x vers.

Il faut voir, alors, à quel point cette feinte banalité étincelle et rayonne, et de quel éclat elle brille, quel relief savant et exquis lui donnent les mots qui l'entourent et l'enchâssent.

C'est le moment où l'art de Marianne Moore se fait plus savant et plus exquis : un caillou, un poisson dans un bassin, une plante, s'enveloppent d'une sorte de splendeur mystérieuse, en raison même de cette intensité avec laquelle ils “ existent ”. La poésie d e l'existant et d e l'existentiel a trouvé chez cette poétesse américaine s a plus forte et sa plus riche expression.

L'art de l'image, poussé par elle à une perfection que nul autre ne peut atteindre, est l'instrument chargé de ce maximum d'existence que le réel possède et que le poète n'est capable d'exprimer qu'après s'être lui-même saturé de réel.

Que fait donc l'intelligence dans tout cela ? Elle contemple et elle saisit l'objet, elle le retourne sur toutes ses faces, elle se penche afin que la lumière y tombe sous les angles les plus nombreux et les plus divers.

Elle ne cherche pas tant à rendre visible l'invisible qu'à faire du visible une monumentale évidence pleine de ruse et de sincérité.

Ensuite, elle nous tend la nature et nous dit : c'est cela, et la merveille, en effet, est présente, totale, parfaite. Marianne Moore a dit, dans un poème justement célèbre, ce qu'est la poésie : non pas l'idée qu'elle s'en fait, mais la poésie en soi.

Et où et comment il faut la chercher et la reconnaître lorsqu'on la rencontre.

“ Car il n'y a pas poésie, dit-elle, avant que les poètes parmi nous puissent mettre littéralement en mots l'imagination, dominent l'insolence et la trivialité, avant qu'ils puissent présenter à l'inspection, des jardins imaginaires contenant d e vrais crapauds, alors nous aurons d e la poésie.

En attendant, si vous exigez d'une part la matière première de la poésie dans toute sa force primitive et tout ce qui est d'autre part authentique, alors la poésie vous intéresse.

” Un critique a dénoncé quelque part, chez Marianne Moore, une certaine “ perversité de l'intelligence ” : l'accusation tombe très loin du but qu'elle voulait frapper.

Il n'y a jamais perversité à vouloir rendre de plus en plus intelligible tout ce qui existe.

Et si nous nous étonnons de la recherche ésotérique avec laquelle le poète choisit ses images et les dispose à leur lieu exact dans la broderie ou le tissé, c'est parce que nous n'avons pas compris q u e faire voir c'est avant tout étonner et que le quotidien reste prodigieusement étonnant pour qui s'inquiète d e savoir ce qu'il est réellement.

Révéler intellectuellement le sensoriel est une démarche poétique valable puisque toute chose, en définitive, doit devenir esprit.

Le concret n'est jamais aussi concret que lorsqu'il est connu par l'esprit dans toutes ses parties et sous tous ses aspects ; combien nécessaire, alors, cette investigation lucide poursuivie par le poète dans le royaume mystérieux des choses que l'on croit sans mystère ! Il est rare que la magie soit absente d'un poème de Marianne Moore, mais c'est une magie domptée et do minée par l'art.

Ce poète a choisi les matières les plus rares et les plus rebelles pour les travailler ; ainsi contraint-elle le non-poétique et l'antipoétique m ê m e à devenir poésie.

Il faut dépasser ce plaisir de l'enchantement qu'elle nous donne, et observer comment cela est fait.

La véritable beauté d'un poème consiste en ce qu'elle est rehaussée et non détruite par l'observation et l'analyse, car observer n'est pas autre chose que regarder vivre la chose devant soi.

Il fut à la m o d e quelque temps en Amérique d'enchâsser des bijoux dans d e minuscules tortues vivantes : nous savons bien quelle était alors la partie de ces bijoux qui était la plus précieuse. Certaines pages de Marianne Moore me paraissent des miracles aussi surprenants que celui qui s'est produit dans le Paradis Terrestre le jour où Adam a donné un nom aux êtres et aux choses qui l'entouraient et où êtres et choses ont accepté ce nom et vécu conformément à c e n o m .

C h a q u e poète recrée, et même, dans les heures les plus favorables, crée son propre monde.

Le monde de Marianne Moore brille d'une tranquille et modeste splendeur : la beauté intime des objets s'y révèle en transparence.

La nature du jade et la nature du poisson sont différentes, mais il existe dans l'un et l'autre la même relation à la Mère Nature et la même virtualité de prodiges.

Loué soit le poète qui fait du prodige l'émerveillement de chaque jour et qui glorifie chaque chose en célébrant sa glorieuse unicité ! La poétesse américaine Marianne Moore est née en 1887, m a i s ce n'est qu'en 1921 qu'elle publia son premier recueil d e poèmes. Directrice de la revue “ The Dial ” pendant plusieurs années, elle a exercé une influence considérable sur le mouvement poétique aux États-Unis et reçu les prix littéraires les plus estimés, le Bollingen en 1951, le Pulitzer en 1952.. »

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