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Marcel Aymé, La Vouivre.

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Marcel Aymé, La Vouivre. La ferme des Muselier et celle des Mindeur, distantes de cent cinquante mètres, s'alignaient au bord de la route, un peu en dehors du village. Autrefois, une source commune les alimentait en eau potable. Elle sortait de terre entre les deux maisons, à vingt pas de la route, au bout d'un verger appartenant aux Mindeur. Les Muselier y accédaient par une large trouée ménagée dans une haie, sans avoir la garantie d'un droit de servitude. En 1875, les Mindeur, sans esprit de brimade, mais pour protéger leurs fruitiers contre les incursions des vaches, avaient fermé l'entrée par un portillon muni d'un simple loquet. Ayant omis ou négligé d'en avertir les Muselier, leurs cousins germains, ceux-ci s'étaient froissés et, affectant de croire qu'on voulût leur défendre l'accès de la source, s'étaient imposé d'aller chercher l'eau au village jusqu'à ce qu'ils eussent fait creuser un puits dans leur cour. De ce jour, les voisins étaient devenus plus étrangers l'un à l'autre que s'ils eussent été chacun à un bout de la commune. A la troisième génération, il ne s'agissait plus d'une inimitié de familles, mais de maisons. D'autres Mindeur, rameaux de la même souche, mais domiciliés ailleurs, se trouvaient déchargés du poids de la faute originelle et étaient en bons termes avec les Muselier. Arsène déboucha du bois dans la grande lumière de midi et prit à travers les blés un sentier qui joignait la route devant la maison des Mindeur. Derrière les deux fermes, la prairie descendait à la rivière par une faible pente et, de l'autre côté, remontait jusqu'à une mince ligne boisée qui fermait l'horizon. La route traversait le village de Vaux-le-Dévers dispersé au flanc d'une très longue montée et séparé de la forêt par une marge importante réservée aux labours. Dans la direction opposée, vers le sud, elle menait à Roncières, construit lui aussi sur le dévers d'une petite hauteur qui le dissimulait au regard et l'abritait des vents du nord. A trente kilomètres au-delà se profilaient les premières montagnes du Jura, d'un bleu pâle qui se fondait par endroits dans le ciel d'été.

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